Violeta del Carmen Parra Sandoval (1917-1967) est une chanteuse, auteure-compositrice, peintre, cĂ©ramiste, artiste de tapisserie en toile de jute et poĂ©tesse. Avant de prĂ©senter ses multiples talents, allons Ă©couter la voix de cette femme avec sa chanson sans doute la plus connue internationalement, Gracias a la vida. Cette chanson a Ă©tĂ© reprise, entre autres, par l’AmĂ©ricaine, Joan Baez et l’Argentine, Mercedes Sosa.
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Me dio dos luceros, que cuando los abro
Perfecto distingo lo negro del blanco
Y en el alto cielo su fondo estrellad
Y en las multitudes el hombre que yo amo
Merci Ă la vie qui m’a tant donnĂ©
Elle m’a donnĂ© deux Ă©toiles et quand je les ouvre
Je distingue parfaitement le noir du blanc
Et en haut du ciel son fond étoilé
Et parmi la multitude l’homme que j’aime
Violeta Parra naĂźt en 1917 Ă Malloa au Chili, petite rĂ©gion Ă majoritĂ© rurale. Elle, ainsi que ses neuf frĂšres et soeurs, commencent Ă travailler trĂšs jeunes Ă cause de la mort prĂ©coce de leur pĂšre, instituteur rural. D’abord chanteuse de rĂ©pertoire espagnol, elle enregistre pour la grande compagnie RCA-Victor. Puis, elle dĂ©couvre, recense et chante la chanson populaire et traditionnelle chilienne qui deviendra la source principale d’inspiration de ses chansons ainsi que de sa production artistique. En plus des campagnes chiliennes, elle parcourt aussi inlassablement le sud du Chili et remet en Ă©vidence la culture de la communautĂ© aborigĂšne Mapuche dont elle devient une importante ambassadrice. Selon son fils, le chanteur Angel Parra, elle cherchait à « sauver l’Ăąme populaire condamnĂ©e Ă disparaĂźtre Ă cause du dĂ©sintĂ©rĂȘt national » (Parra, p.72) et sa quĂȘte visait à « atteindre le chant sacrĂ© populaire » (Parra, p.95). Mais cette quĂȘte ne visait pas qu’Ă rĂ©colter les chansons traditionnelles, mais aussi les danses, les lĂ©gendes, les instruments de musique, les objets d’artisanat local, l’histoire orale non officielle, les rituels, afin de mettre en valeur la culture populaire du pays, lâauthentique folklore rural.
Elle devient peu Ă peu une artiste reconnue dans son pays. En 1954, elle obtient le grand prix national chilien, le prix Caupolican. Elle anime alors un programme quotidien Ă la radio chilienne oĂč elle prĂ©sente les musiques, chansons, instruments, danses et lĂ©gendes du pays. Elle Ă©crit alors beaucoup de poĂ©sie en dizains (decimas), forme folklorique trĂšs codifiĂ©e d’Ă©criture de poĂ©sie. Et c’est en decimas qu’elle publie en 1958 le rĂ©cit de sa vie, Decimas autografĂa en versos chilenos. Elle s’initie au guitarrĂłn, une guitare Ă 25 cordes habituellement jouĂ©e par les hommes et s’accompagne souvent avec cet instrument dans ses tours de chant. Elle est invitĂ©e dans plusieurs universitĂ©s pour des sessions d’Ă©tĂ© afin d’exposer ses recherches et chanter. Elle enregistre sur disque certaines des chansons du rĂ©pertoire traditionnel ainsi que ses propres chansons. En 1955, elle est invitĂ©e au Festival mondial de la jeunesse et des Ă©tudiants Ă Varsovie. Elle passe alors plus d’un an et demi en Europe et chante Ă Paris, Londres et s’arrĂȘte en Italie. En 1958, elle participe Ă la mise sur pied du MusĂ©e des arts populaires et folklorique, rattachĂ© Ă l’UniversitĂ© de Conception. L’annĂ©e suivante, elle rassemble ses recherches et publie Cantos folkloricos chilenos. En 1960, elle fait une tournĂ©e du pays, accompagnĂ©e de ses deux enfants, Angel et Isabel, qui poursuivront tous les deux une carriĂšre artistique.
C’est au dĂ©but des annĂ©es ’60 qu’elle commence Ă faire des tapisseries, broderies et peintures. Son art visuel, Ă lâinstar de sa production musicale, vise Ă redresser lâinjustice sociale quâelle dĂ©nonce quant Ă la population aborigĂšne du pays. Elle sâinspire dâĂ©vĂ©nements spĂ©cifiques de lâhistoire chilienne oĂč les Espagnols sont prĂ©sentĂ©s comme les « mĂ©chants» de lâhistoire et les Indiens, comme les « bons opprimĂ©s » (Dillon, p. 256). Selon Lorna Dillon, toute son Ćuvre prĂ©sente une esthĂ©tique binaire oĂč les autoritĂ©s sont dĂ©peintes comme tyranniques et les protestataires comme pacifiques et sans dĂ©fense (Dillon, p.262). La vision de Parra sâinscrit dans le mouvement de contre-culture des annĂ©es â60 et dans le large processus de dĂ©colonisation des populations indigĂšnes. En dĂ©nonçant les atrocitĂ©s perpĂ©trĂ©es par les autoritĂ©s politiques par ses chansons et ses images, elle a donnĂ© une voix aux opprimĂ©s. En 1964, ses travaux font l’objet d’une exposition au Pavillon Marsan du MusĂ©e des arts dĂ©coratifs du Louvre, Ă Paris.
Ăcoutez lâentretien de Violeta Parra avec la journaliste Marie-Magdeleine Brumagne en juillet 1965, oĂč elle explique sa dĂ©marche artistique.
De retour au Chili, Violeta Parra ouvre en 1965 un chapiteau dans un quartier un peu Ă©loignĂ© du centre-ville de Santiago, La Carpa de la Reina. Elle souhaite en faire un lieu de crĂ©ation et de diffusion de la culture populaire. Mais cet espace de performance restera ignorĂ© par les artistes chiliens, ce qui la blessera. AprĂšs l’abandon de son amoureux durant la mĂȘme pĂ©riode, elle met fin Ă ses jours dans ce chapiteau, en fĂ©vrier 1967.
Violeta Parra est considĂ©rĂ©e comme la mĂšre de la « Nouvelle chanson latino-amĂ©ricaine » (Hutchison, p. 371) popularisant le style des « peña », les performances d’une musique folk politisĂ©e qu’on a appelĂ© Protest song aux Ătats-Unis et nova canço en Catalogne. Elle a contribuĂ© Ă politiser la culture populaire dans les annĂ©es ’60 et ’70. Elle a utilisĂ© l’art pour Ă©veiller les consciences et susciter une mobilisation politique. Elle a aussi contribuĂ© Ă mettre de l’avant la musique et le folklore des populations indigĂšnes chiliennes, longtemps ignorĂ©s jusque-lĂ .
Violeta Parra a produit une Ćuvre complexe, nombreuse et variĂ©e. Une fondation a Ă©tĂ© mise sur pied par sa fille Isabel Parra en 1991 afin de prĂ©server sa mĂ©moire et recenser sa production. Un film biographique a Ă©tĂ© tournĂ© au Chili en 2014 (Wood, AndrĂ©s, Francisca GavilĂĄn, et Thomas Durand. Violeta se fue a los cielos. Madrid : Karma films, 2014).
Domaine public
Son Ćuvre tombe dans le domaine public au Canada, Ă partir du 1er janvier 2018. En voici, quelques exemples :
- Parra, Violeta. DĂ©cimas: autografĂa en versos chilenos
- Parra, Violeta. Cantos folklĂłricos chilenos.
- Manns, Patricio, Violeta Parra, and RĂ©gine Mellac. Violeta Parra : la guitare indocile : anthologie des chansons de Violeta Parra. Paris: Ed. du Cerf, 1977.
- Parra, Violeta, and Rosario Mena. Color violeta: obra visual de Violeta Parra. Santiago, Chile: Centro Cultural Palacio La Moneda, 2011.
Références
- Dillon, Lorna. « The political Dialectic of Violeta Parraâs Art » dans Prout, Ryan et Tilmann Altenberg, Ă©d. Seeing in Spanish: from Don Quixote to Daddy Yankee – 22 Essays on Hispanic Visual Cultures. Cambridge Scholars Publishing, 2011. Pages 252-265.
- Hutchison, Elizabeth Q, Thomas M. Klubock, Nara B. Milanich, and Peter Winn. The Chile Reader: History, Culture, Politics. , 2014. Pages 371-372.
- Parra, Angel. Violeta Parra, ma mĂšre. Paris, Ăcriture, 2011.
- Vicuña, Cecilia et Ernesto Livon-Grosman, éds. The Oxford Book of Latin American Poetry. Oxford, Oxford University Press, 2010. Page 285.
- Wikipedia (FR)