Frank Cyril Swannell est lâun des arpenteurs les plus cĂ©lĂšbres du Canada. Il a Ă©voluĂ© au dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle en Colombie-Britannique avec la particularitĂ© dâavoir documentĂ© son travail et les paysages arpentĂ©s non seulement avec des donnĂ©es et du texte, mais aussi par la photographie.
Swannell est nĂ© le 16 mai 1880 en Ontario (Hamilton). Ses parents, Frederick Swannell et Mary Foster, Ă©taient venus dâAngleterre. AprĂšs des Ă©tudes en GĂ©nie des mines Ă l’UniversitĂ© de Toronto, Frank Swannell dĂ©cide de quitter lâOntario afin de se rendre en Colombie-Britannique pour ensuite monter vers le Yukon. Câest la pĂ©riode de la ruĂ©e vers lâOr et il dĂ©sire se rendre au Klondike.
En 1899, alors quâil est rendu Ă Victoria et quâil nâa plus dâargent, on lui offre un emploi dâapprenti arpenteur pour la firme Gore and McGregor. En 1903 et 1904, il obtient son permis d’arpenteur provincial puis celui d’arpenteur des terres de la Couronne. Bien installĂ© Ă Victoria, il rencontre Ada May Driver quâil Ă©pouse le 16 juin 1904. Il est alors ĂągĂ© de 24 ans. Il travaille pour Gore and McGregor jusquâen 1908 et dĂ©cide de dĂ©marrer sa propre firme dâarpentage.
Alors que Swannell est maintenant Ă son compte, il se monte une Ă©quipe et obtient ses premiers contrats de la part du gouvernement. Câest lâĂ©poque oĂč lâOuest du Canada se dĂ©veloppe rapidement. De plus en plus de gens veulent sâinstaller, alors il faut arpenter le territoire pour offrir des terres agricoles aux nombreux colons qui cherchent des lots Ă dĂ©fricher.
Avec la construction du chemin de fer Grand Trunk Pacific, lâintĂ©rĂȘt pour des terres situĂ©es loin des grands centres est grandissant. Swannell et ses hommes effectuent un travail remarquable dâarpentage et ajoutent mĂȘme des informations complĂ©mentaires en documentant la topographie et le potentiel des diffĂ©rents lots.
Ă ce moment, Swannell et son Ă©quipe doivent faire face Ă des conditions difficiles pour effectuer ce travail. En plus des moustiques et des risques de se faire attaquer Ă tout moment par un ours, ils doivent Ă©voluer sur un territoire difficile dâaccĂšs.
Câest Ă pied, en canot, Ă cheval, en ski ou en raquettes quâils explorent ce territoire encore considĂ©rĂ© comme vierge. Ils traversent des riviĂšres gelĂ©es, des marĂ©cages, des parois rocheuses escarpĂ©es et des sommets enneigĂ©s en devant toujours apporter avec eux les vivres et Ă©quipements nĂ©cessaires. Au cours de lâĂ©tĂ© 1908, Swannell et son Ă©quipe arpentnt la rĂ©gion autour de Fort Fraser, du lac Fraser et de Stoney Creek.
Les premiĂšres annĂ©es, on voit trĂšs peu dâautochtones dans les photos de Swannell. Pourtant, il explore des territoires oĂč plusieurs nations sont installĂ©es. Mais, Ă la fin de lâĂ©tĂ© 1909, il visite les environs de Prince Rupert et y rencontre les Tsimshians. Il prendra plusieurs photos de cette nation, presque toujours mises en scĂšne.
Ă travers ces photos, on comprend rapidement que Swannell aime prendre son temps, sâinstaller, placer le dĂ©cor puis les personnages avant dâappuyer sur le dĂ©clencheur. Lorsque câest un appareil photo qui se trouve sur le trĂ©pied Ă la place dâun thĂ©odolite, il semblerait que Swannell est tout aussi mĂ©ticuleux.
Les annĂ©es suivantes, Frank Swannell et son Ă©quipe continuent dâarpenter diffĂ©rentes rĂ©gions de la Colombie-Britannique, Ă©voluant par radeau, bateau, canot, chevaux et mĂȘme en auto. Les journĂ©es sont longues â 10 Ă 12 heures de travail, six jours par semaine. Les camps de fortune ne sont pas toujours confortables, mais les moments agrĂ©ables sont manifestes, se reflĂštant dans son Ćuvre photographique.
En 1914, il sâengage dans lâarmĂ©e afin de participer Ă lâeffort du Canada Ă la Grande Guerre. Il fait partie du 88e RĂ©giment (Fusiliers de Victoria). BlessĂ© en France, il est transfĂ©rĂ© en Angleterre oĂč il sâoccupe du transport dâescadrons. Ă la fin de la guerre, il est transfĂ©rĂ© en Russie pour cartographier la riviĂšre Dvina. Pendant cette pĂ©riode, il est blessĂ© lors dâune mutinerie de soldats russes et reviens au Canada. Une fois de retour au Canada, il continue dâarpenter les cĂŽtes de la Colombie-Britannique et la rĂ©gion de Cariboo.
En 1934, le gouvernement canadien lui demande de se joindre Ă lâexpĂ©dition du millionnaire amĂ©ricain Charles Bedaux. Ce personnage excentrique avait lâintention de mettre Ă lâĂ©preuve des camions CitroĂ«n en passant par des rĂ©gions sauvages de la Colombie-Britannique. Il avait convaincu son ami AndrĂ© CitroĂ«n de fournir les vĂ©hicules et lui sâoccupait de prĂ©parer lâaventure. Le tout serait filmĂ© par un directeur photo oscarisĂ©, Floyd Crosby, accompagnĂ© de quelques cowboys â probablement pour rendre les scĂšnes plus intĂ©ressantes. Des femmes et des enfants faisaient Ă©galement partie de l’aventure. Swannell devait tracer le parcours des cinq vĂ©hicules sur la base dâun trajet douteux imaginĂ© par Bedaux.
LâexpĂ©dition fut une vĂ©ritable catastrophe. AprĂšs avoir obtenu un grand succĂšs mĂ©diatique avec les trois expĂ©ditions prĂ©cĂ©dentes (la traversĂ©e du Sahara, la croisiĂšre noire et la croisiĂšre jaune), CitroĂ«n avait dĂ©montrĂ© la durabilitĂ© et la flexibilitĂ© de ses vĂ©hicules. Peu de temps aprĂšs avoir dĂ©butĂ© lâexpĂ©dition, trois des cinq vĂ©hicules furent perdus dans une riviĂšre en crue. Les deux autres restĂšrent rapidement coincĂ©s dans la boue et durent ĂȘtre abandonnĂ©s. Câest donc Ă cheval que les membres de lâexpĂ©dition durent revenir sur leurs pas.
Swannell continue Ă travailler pour le gouvernement de la Colombie-Britannique jusquâĂ sa retraite. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il contribue Ă assurer la sĂ©curitĂ© des aĂ©roports de la cĂŽte ouest. Il dĂ©cĂšde le 16 dĂ©cembre 1969 Ă Victoria.
Postface
Comme nous lâavons dit prĂ©cĂ©demment, les terres que Swannell arpente et qui deviennent ensuite propriĂ©tĂ©s de colons sont sur les territoires autochtones. On y retrouve des colons dĂ©jĂ bien installĂ©s, mais câest avant tout le territoire des nations Tsimshians, WetÊŒsuwetÊŒen, Dakelh, Sekani et bien dâautres. Bien que la majeure partie des territoires arpentĂ©s par Swannell soient encore peu densĂ©ment peuplĂ©s aujourdâhui, il nâen demeure pas moins quâils sont le terrain dâaffrontements importants entre les peuples autochtones et les envahisseurs Ă©conomiques, dĂ©fendus par le gouvernement fĂ©dĂ©ral.
Depuis dĂ©jĂ plusieurs annĂ©es, des communautĂ©s autochtones se battent pour que lâexploitation de leurs territoires ancestraux par « les blancs » cesse. Ă plusieurs reprises le gouvernement a facilitĂ© le travail Ă des entrepreneurs privĂ©s qui veulent exploiter les ressources ou se servir du territoire comme bon leur semble. Les cas les plus rĂ©cents sont bien Ă©videmment les nombreux projets dâolĂ©oducs et gazoducs qui passent sur le territoire arpentĂ© par Swannell et ses hommes. Sur ce seul territoire, ce sont 7 projets qui sont en cours.
Il y a quelques jours Ă peine, nous apprenions par un article du journal The Guardian1 que la Gendarmerie royale du Canada Ă©tait prĂȘte « Ă tirer sur des manifestants de la nation WetÊŒsuwetÊŒen qui bloquent la construction d’un gazoduc ». Tout ça pour occuper un territoire autochtone non cĂ©dĂ© et faire passer des ressources non renouvelables qui Ă terme vont dĂ©truire les magnifiques paysages photographiĂ©s par Swannell il y a plus de 100 ans.
Domaine public
Toute lâĆuvre de Frank Cyril Swannell (textes, photographies, cartes, correspondancesâŠ) sâĂ©lĂšvera dans le domaine public canadien dĂšs le 1er janvier 2020.
Le Fonds dâarchives de Frank Cyril Swannell est conservĂ© aux Archives du Gouvernement de Colombie-Britannique (BC Archives). On y retrouve environ 5 000 photographies et des dizaines de journaux et carnets de terrain relatant non seulement ses observations professionnelles, mais aussi des anecdotes et des rĂ©flexions personnelles jusqu’en 1965.
MalgrĂ© plusieurs demandes Ă BC Archives et au Royal BC Museum, nous nâavons pas obtenu de rĂ©ponse quant Ă la possible utilisation de ce matĂ©riel pour une exposition. EspĂ©rons qu’ils sauront mettre en valeur un fonds aussi riche. En 2015, le MusĂ©e avait annoncĂ© que les journaux de Swannell seraient bientĂŽt disponibles en ligne pour les retranscrire et les partager, mais Ă ce jour, cela n’a malheureusement pas eu lieu.
Une trĂšs grande partie des photos de Swannell est numĂ©risĂ©e et disponible en basse rĂ©solution sur le site du Royal BC Museum. Ătant donnĂ© le silence radio de la part de BC Archives, je me suis permis de rĂ©cupĂ©rer certaines photos pour illustrer cette notule. Elles seront toutes dans le domaine public le 1er janvier 2020.
Lâarpenteur, professeur et bibliothĂ©caire scolaire Jay Sherwood a publiĂ© quatre livres portant sur les diffĂ©rents voyages de Swannell et ses photographies.
- Surveying Northern British Columbia: a photojournal of Frank Swannell. Halfmoon Bay, BC: Caitlin Press, 2014. WorldCat
- Surveying Central British Columbia: a photojournal of Frank Swannell, 1920-28. Victoria: Royal BC Museum, 2007. WorldCat
- Return to Northern British Columbia: a photojournal of Frank Swannell, 1929-39. Victoria: Royal BC Museum, 2010. WorldCat
- Surveying southern BC: a photojournal of Frank Swannell, 1901-1907. Halfmoon Bay, BC: Caitlin Press, 2014. WorldCat
Sources bibliographiques
Toutes les sources consultĂ©es sont en anglais. Comme les sources en français portant sur Swannell sont trĂšs rares, il n’a malheureusement pas Ă©tĂ© possible de crĂ©er la version française de l’article WikipĂ©dia portant sur lui.
- Fonds dâarchives de Frank Swannell, BC Archives.
- Frank Swannell, Wikipédia.
- Stephen Hume, « Canada 150: Frank Swannell surveyed B.C.âs remote wilderness », Vancouver Sun, 8 avril 2017.
- William R. (Bill) Brookes, « Fifty Years Ago », GEOMATICA, vol. 71, n°2,â juin 2017, pp. 119â122.
Notes et liens complémentaires
- Jaskiran Dhillon, Canada police prepared to shoot Indigenous activists, documents show, The Guardian, 20 décembre 2019.
Illustration
- Photos en noir et blanc: Franck Swannell. Fonds PR-0389, BC Archive.
- Couleur: LĂ©a-Kim ChĂąteauneuf.
- Vidéo: This Week in History Season 3 Episode 19 - Frank Swannell Diaries. CHEK TV, Victoria, via YouTube.