Le Club des cinq, vous connaissez ? Je vous propose cinq raisons pour redécouvrir, ou découvrir, l’œuvre d’Enid Blyton qui entre en 2019 dans le domaine public et dont l’ontologie plurielle est une ode aux possibilités du remix. Cette écrivaine britannique, née en 1897 et morte en 1968, est une des pionnières de la littérature pour les enfants. Son activité colossale et l’immense succès qu’elle a rencontrés auprès des publics jeunesse ont contribué à légitimer ce qui passait encore, il y a quelques décennies à peine, pour une sous-littérature. Les séries Oui-Oui (Noddy), Le Club des cinq (The Famous Five), et Le Clan des sept (The Secret Seven) constitue la charpente de cette production littéraire industrielle portée par l’émergence d’un nouveau marché : les jeunes lectrices et lecteurs du 20e siècle.
Des chiffres vertigineux
Depuis les années 1930, ses livres ne cessent de figurer au palmarès des meilleures ventes mondiales avec plus de six cents millions d’exemplaires vendus. La popularité de son œuvre ne se dément pas et ses livres ont été traduits dans près de 90 langues. Elle est le quatrième auteur (et la première autrice) le plus traduit après Agatha Christie, Jules Verne et William Shakespeare.
Le premier des Famous Five paraît en 1942; à cette époque, Blyton compte déjà 500 titres à son actif. Elle atteint le sommet de sa productivité une décennie plus tard alors qu’elle écrit plus de cinquante livres par année; un rythme soutenu qu’elle maintiendra longtemps.
C’est au cours de cette période qu’elle fonde l’entreprise Darrell Waters Ltd pour veiller à la gestion de ses affaires littéraires. Son modèle d’affaires pourrait être qualifié de précurseur puisque la commercialisation de son œuvre n’a pas reposé exclusivement sur la vente des livres. Combinant la valorisation économique et sociale, il s’est appuyé sur une variété de stratégies. Des clubs, notamment, qu’elle fonde ou soutient et qui contribuent à la promotion de ses livres ainsi qu’à la récolte de fonds pour des associations caritatives dédiées aux animaux et aux enfants malades. On lui attribue un « marketing, une publicité et un branding largement en avance sur leur temps. »1
Son empire littéraire s’est également bâti sur un lot de manuscrits refusés — souvent à de nombreuses reprises —, des revers qui n’auront servi, selon ses dires, qu’à renforcer son caractère, ses convictions et son désir de réussir : « c’est en partie cette lutte qui vous aide tellement, qui vous donne la détermination, le caractère, l’autonomie – toutes les choses qui aident dans n’importe quelle profession ou métier, et très certainement dans celui d’écrivain. »2
Une variété de formes littéraires
Son œuvre est plurielle sous de nombreuses facettes. Enid Blyton ne se limite pas à la forme du roman auquel on l’identifie généralement.
Après des études en éducation, elle s’adonne à l’écriture en explorant la poésie pendant ses temps libres. Son premier ouvrage, Child Whispers (Murmures d’enfants) est un recueil de poèmes paru en 1922. Sa carrière professionnelle démarre au moment de la publication de ses poèmes aux côtés de ceux de Rudyard Kipling, Walter de la Mare et G. K. Chesterton, dans un numéro spécial de Teachers’ World en 1923. Elle publie ses premiers romans dans les années 30 parmi lesquels Les Aventures du fauteuil magique (Adventures of the Wishing Chair, 1937) et La Forêt enchantée (The Enchanted Wood, 1939).
Blyton consacre beaucoup d’énergie à des réflexions pédagogiques et des écrits didactiques qui sont bien reçus dans les années 20 et 30: The Teacher’s Treasury (1926), Modern Teaching (1928), Pictorial Knowledge (1930) et Modern Teaching in the Infant School (1932), comptent parmi les plus connus.
Tout au long de sa carrière, elle publie plusieurs articles dans différentes revues et des journaux. Les grandes séries, Oui-Oui (Noddy), Le Club des cinq (The Famous Five), et Le Clan des sept (The Secret Seven) voient le jour dans les années 40 et leurs aventures seront prolongées jusque dans les années 60 par le biais du roman illustré.
Elle publie son autobiographie, The Story of my Life, en 1952. Dans les dernières années de sa vie, elle écrit toujours et choisit de se tourner vers un public plus jeune avec des récits courts et des chansons.
Des manifestions multiples
Tout au long de son parcours littéraire, son œuvre s’est démultipliée à travers différentes manifestations : des traductions, des adaptations et des produits culturels dérivés. Oui-Oui est adapté pour la scène par Blyton elle-même, dans un spectacle de Noël (Noddy in Toyland) et, aussi, pour la télévision. Un nouveau Oui-Oui est imaginée par sa petite-fille à l’occasion du soixantième anniversaire de la naissance de ce personnage créé en 1949. Le Club des cinq apparaît dans une comédie musicale et la série engendre plusieurs adaptations à la télévision comme au cinéma, de même que des parodies (Five Go to Rehab – Les Cinq en cure de désintox) dans les années 90.
La traduction française de ses séries connaît une fortune considérable auprès du lectorat francophone. Deux titres du Club des Cinq sont d’abord traduits par Hachette et publiés en 1955, dans la célèbre « Bibliothèque rose3 », qui existait depuis 1856. Dix-neuf titres de cette série s’y ajouteront et, à la mort de l’autrice, la traductrice Claude Voilier4 est autorisée à poursuivre ce projet littéraire. Une vingtaine de récits supplémentaires naissent de l’héritage.
Des jeux et des puzzles sont mis en marché dès la fin des années 40 et des figurines de Oui-Oui sont produites en masse dans les années 60. L’histoire de sa vie est racontée, en 2009, dans un téléfilm de la BBC intitulé Le Roman d’Enid Blyton, avec Helena Bonham Carter dans le rôle principal.
Une diversité de genres et de thèmes
Enid Blyton s’approprie un registre très large de formes, mais aussi de genres littéraires textuels : la poésie, l’essai et les écrits pédagogiques, l’écriture romanesque, le fantastique, le merveilleux, les contes de fées, le roman policier, des histoires bibliques et d’autres récits encore qui font s’entrelacer ces différentes catégories en interrogeant leurs frontières.
Une œuvre controversée: Oui-Oui
Appréciée des enfants comme des parents peu susceptibles d’être inquiétés par ses propositions littéraires candides, son succès populaire ne ressemble en rien à son succès critique. Dès les années 50, le monde des prescripteurs, les critiques littéraires, les enseignants et les bibliothécaires dénoncent avec âpreté le simplisme de ses thèmes et de son écriture; on pense à la série Oui-Oui en particulier.
Ses œuvres sont frappées d’interdits dans les bibliothèques et les écoles. La BBC l’exclut de sa programmation des années 1930 aux années 50 en invoquant la médiocrité littéraire et le conformisme de celles-ci. On reproche encore à ses œuvres « d’être élitistes, sexistes, racistes, xénophobes et à contre-courant de la libéralisation de la société britannique de l’après-guerre ». Dans les années 50, on retrouve Enid Blyton en procès contre une bibliothécaire ayant tenu des propos diffamatoires contre son travail.
La situation en France n’est pas plus réjouissante. Son œuvre y sert de repoussoir pour une nouvelle approche de la littérature jeunesse plus audacieuse, plus actuelle, revendiquée par des maisons d’éditions comme L’École des loisirs, Gallimard, Nathan et Bayard. Cette opposition entre les intentions éducatives et esthétiques, entre la littérarité et l’hédonisme sévit toujours, mais elle tend à s’atténuer alors que l’importance du plaisir de lire devient un principe normatif supérieur, favorisant une certaine réhabilitation de son œuvre sans empêcher — au contraire — une conversation ouverte sur ses travers.
Sources
- « Enid Blyton » sur Wikipédia, avec la mention « article de qualité » ;
- Garry Jenkins. (15 novembre 2009). « Why Enid Blyton’s Greatest Creation was Herself » [archive], The Telegraph, (consulté le 1er décembre 2018) ;
- David Rudd. (2004). « Blytons, Noddies, and Denoddification Centers: The Changing Constructions of a Cultural Icon », dans Thomas Van der Walt, Felicité Fairer-Wessels et Judith Inggs, Change and Renewal in Children’s Literature, Greenwood Publishing Group, (ISBN 978-0-275-98185-3, lire en ligne [archive]), p. 111–118 ;
- Jean-Louis Tilleul. (2013). « Enid Blyton » dans Dictionnaire du livre de jeunesse. Édité par Isabelle Nières-Chevrel et Jean Perrot. Paris : Éditions du Cercle de la librairie. Pp. 115-116 ;
- Site officiel sur Enid Blyton ;
- Site officiel de l’Enid Blyton Society ;
Notes et liens complémentaires
- Garry Jenkins (ibid ), traduction Wikipedia.
- The Enid Blyton Society. « Enid the Writer »[archive], traduction Wikipedia.
- Wikipedia. Bibliothèque rose.
- Wikipedia. Claude Voilier.