Israel Chas de Cruz

Chas de Cruz fut un pionnier du journalisme cinématographique argentin. Tout à la fois défenseur du cinéma national et fervent amateur de cinéma hoolywoodien, il a joué un rôle important dans l’industrie du cinéma en Argentine et dans la transmission du cinéma Hollywoodien dans son pays, par le biais de journaux, de la radio et du cinéma lui-même.

De ses débuts à la radio…

Né à Buenos Aires le 6 juin 1904, Chas de Cruz s’intéresse très tôt au journalisme et au cinéma. Il commence à travailler pour le journal El Télégrafo alors qu’il n’a pas vingt ans. À l’initiative de l’entrepreneur et producteur pionnier Federico Valle, il devient en 1930 assistant de production pour le film La canción del gaucho (The Gaucho’s Song), réalisé par José Agustín Ferreyra ¹. Ce dernier commence par faire une tentative peu convaincante d’ajouter du son à ce film terminé, avant de tourner l’année suivante le premier long métrage argentin entièrement sonore grâce au Vitaphone ².

La même année, dirigeant et animant de sa voix enrouée l’une des premières émissions radiophoniques dédiées au cinéma, Diario del cine, diffusée sur Radio Belgrano, Chas de Cruz est révélé au public. À la fois admiré et détesté, ne craignant pas les débats houleux, son influence ne cessera alors de croître au fil des décennies. À travers cette émission des critiques cinématographiques sur les nouveautés locales et étrangères, il propose de nombreuses entrevues, ainsi que des concours visant à recruter de nouveaux acteurs. Parmi ceux-ci, ont été mises en lumière des personnalités telles que Mirtha Legrand, Analía Gadé et Irma Roy, ou Raul Florido.

… à son rôle influent dans l’industrie cinématographique

En parallèle, Chas de Cruz devient une personnalité importante de l’industrie du cinéma argentin, en fondant tout d’abord en 1931 le magazine Heraldo del Cinematografista, un hebdomaire destiné aux exploitants de salles de cinémas, qu’il dirigera jusqu’à sa mort.

Le périodique rend compte de l’actualité de l’industrie cinématographique, des conjonctures et problématiques que l’Argentine vit en matière cinématographique, et aide ainsi les exploitants de salles dans la décision de leurs acquisitions de films. À cette fin, le magazine propose avant tout un service d’information et d’analyse plutôt que des critiques cinématographiques : on y trouve des informations sur les films en tournage en Argentine et à l’étranger, des rapports et classifications des films sortants (titres, génériques, société de distribution, cotes numériques selon l’argument, la valeur commerciale et artistique…), ainsi que de précieuses statistiques (nombre de salles en Argentine, nombre de films projetés, etc.).

Publié de façon continue de 1931 à 1988, ce magazine intéresse également les chercheurs et les cinéphiles. Chas de Cruz y prenait des positions, notamment, contre la censure ou vis à vis de la question du cinéma national en général et ce, en fonction des avantages que les exploitants pouvaient y retirer. Ainsi dans les années 30, le magazine conseille de diffuser des films portant sur le tango ou la musique, qui sont les plus désirés, avant d’avertir quelques années plus tard que le public commence à s’en lasser.

Par ailleurs, Chas de Cruz aura toujours une attitude ambivalente à l’égard d’Hollywood. Si le périodique a toujours défendu les droits des exploitants locaux contre les producteurs hollywoodiens, et bien qu’il soutienne la protection du développement du cinéma national par les autorités, il prendra néanmoins parti, en 1943, contre l’interventionnisme étatique argentin pour protéger l’industrie nationale. Il considérait que l’État privait les exploitants du cinéma de la rentabilité des films étrangers.

Une dizaine d’années plus tard, en 1941, Israel Chas de Cruz et Manuel Peña Rodríguez ³, fondateur du Musée du cinéma d’Argentine, créent l’Académie des arts et des sciences cinématographiques d’Argentine ⁴. Sur le même principe que l’Académie des arts et des sciences du cinéma à Hollywood, cet organisme vise à consolider le cinéma argentin et à organiser les métiers (producteurs, exploitants, acteurs, réalisateurs, ingénieurs du son, musiciens…) en différentes associations. Chas de Cruz en devient le secrétaire, tandis que Mario Soffici ⁵, réalisateur, en est le président.

Devenant de plus en plus politisée, l’institution fut accusée se servir de lobby politique. Suite au coup d’État de 1955 qui renverse les Péronistes, certains membres tels que Luis César Amadori ⁶ doivent quitter le pays et l’Académie est dissoute. L’actuelle Académie des arts et Sciences cinématographiques de l’Argentine, fondée en 2004, la remplace désormais.

Enfin, le 10 juillet 1942, Chas de Cruz fonde et devient président de l’Association des critiques de cinéma argentins (ACCA) ⁷, basée à Buenos Aires. Organisation à but non lucratif, l’ACCA réunit des journalistes spécialisés en cinéma avec pour but de défendre leurs intérêts professionnels et de développer des activités pour la diffusion et le renforcement du cinéma national. Elle organise des conférences, tables rondes et expositions prestigieuses, et délivre chaque année des prix — à l’exception des années 1975 à 1983, alors que la liste des films et des artistes gagnants coïncidait avec la liste des interdictions imposées par la censure, et jusqu’à ce que cesse la dictature militaire. Depuis la fin de cette période, elle décerne les prix Cóndor de Plata ⁸, les plus importantes récompenses cinématographiques attribuées dans ce pays.

Écriture, scénarisation et réalisation

S’il fut un grand acteur de l’industrie cinématographique, Chas de Cruz s’est aussi investi dans la réalisation, l’écriture de scénarios et de livres. Il a aussi contribué à de nombreux journaux tels que La Nación, La Prensa, El Mundo, Antena ou le magazine nord-américain Variety.

En 1937, il co-réalise le film ¡Segundos afuera! (Quelques secondes!) avec Alberto Etchebehere ⁹. Il s’agit d’une comédie musicale sportive se situant dans le monde de la boxe, avec pour acteurs Pedro Quaturcci ¹⁰, Amanda Varela et le boxeur Raúl Landini ¹¹, champion argentin des poids welters de 1930 à 1935 et médaillé d’argent aux Jeux olympiques d’Amsterdam de 1928. Ce film donna par ailleurs son premier rôle à l’actrice Eva Duarte ¹². En 1949, Chas de Cruz collabore à l’écriture du scénario de Apenas un delincuente (Juste un criminel), un film policier argentin réalisé par Hugo Fregonese.

Dans son livre Hollywood al desnudo (Hollywood au nu), publié en 1939, livre de nombreuses analyses sur les conditions et les stratégies de l’industrie du film, tout en cherchant à satisfaire le public avide de commérages. Chas de Cruz y démystifie Hollywood en exposant les astuces à travers lesquelles se construisent les films, la construction de décors, ou encore l’utilisation artistique et économique de la technologie. Chas de Cruz définit ainsi l’industrie d’Hollywood comme ingénieuse, mais surtout très habile dans sa capacité à répandre un nom et à faire la publicité de son cinéma. Il y résume également l’anxiété ressentie, à l’aube de l’ère sonore, par les intellectuels latino-américains qui avaient si bien figurés dans le cinéma muet.

Une fin tragique mais digne du cinéma

Un diagnostic médical poussa Chas de Cruz à se suicider le 1er février 1968. D’aucuns racontent qu’il a volontairement précipité sa Peugeot 403 dans le fond des eaux du Rio de la Plata ¹³. Pendant que la voiture flottait encore, un opérateur du port serait venu à son aide mais le cinéaste aurait refusé d’être secouru, restant immobile jusqu’à sa disparition dans les profondeurs de l’estuaire.

Œuvres et écrits

• Auteur de nombreux articles dans les journaux El Heraldo del Cinematografista, El Télégrafo, La Nación, La Prensa, El Mundo, Sintonía, Antena, Gaceta de los espectaculos et Variety.
• Assistant de production du film La canción del gaucho, de Jose A. Ferreyra, 1930.
• Auteur de Hollywood al desnudo La vida de los astros y estrellas en el mundo del cine. Buenos Aires: Claridad, 1939.
• Réalisateur de ¡Segundos afuera! (1937).
• Co-scénariste de Apenas un delincuente, de Hugo Fregonese, 1949.

Sources et références

• Wikipedia (es): Israel Chas de Cruz.
• Jason Borge, Latin American Writers and the Rise of Hollywood Cinema, Routledge Studies in Twentieth-Century Literature, 2008
• « Chas de Cruz, a 30 anos de su Tragica muerte ». Clarin.com, 1998.
• « Heraldo del cinematografista ». Wiki de la revue ReHIMe.

1. Wikipedia (es): José Agustín Ferreyra.
2. Wikipedia (fr): Vitaphone.
3. Wikipedia (es): Manuel Peña Rodríguez.
4. Wikipedia (es): Academia de Artes y Ciencias Cinematográficas de la Argentina.
5. Wikipedia (es): Mario Soffici.
6. Wikipedia (es): Luis César Amadori.
7. Wikipedia (fr): Association des critiques de cinéma argentins (en espagnol: Asociación de Cronistas Cinematográficos de la Argentina).
8. Wikipedia (es): Premios Cóndor de Plata.
9. Wikipedia (es): Alberto Etchebehere.
10. Wikipedia (es): Pedro Quaturcci.
11. Wikipedia (es): Raúl Landini.
12. Wikipedia (es): Eva Duarte.
13. Il aurait notamment indiqué à Roberto Rodriguez Pardal, son marchand de cigare, son intention de mettre fin à ses jours la veille de son suicide.

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