Nancy Clare Cunard naĂźt Ă lâorĂ©e du vingtiĂšme siĂšcle et sây propulse avec une rare audace en Ă©chafaudant des projets littĂ©raires et politiques fulgurants. Cette passionaria anglaise est dotĂ©e de convictions fortes mais aussi dâune fortune considĂ©rable. ĂlevĂ©e au sein dâune famille aristocrate, son pĂšre, Sir Bache Cunard, est lâhĂ©ritier de la ligne de navigation Cunard Line. Sa mĂšre, nĂ©e Maud Alice Burke, est aussi une hĂ©ritiĂšre dâorigine amĂ©ricaine, qui entretient la conversation mondaine Ă Londres en animant une cour de gens riches et cĂ©lĂšbres, artistes, auteurs, politiciens. Plusieurs sont ses amants et lâĂ©crivain George Moore, le plus fidĂšle dâentre eux, tient lieu de figure paternelle ambigĂŒe lorsque les parents de Nancy, qui est fille unique, se sĂ©parent. TrĂšs jeune, Cunard sâoppose aux valeurs familiales aussi bien quâĂ celles de lâAngleterre puritaine et coloniale de son temps en prenant le parti dâune esthĂ©tique de la rĂ©bellion radicale.
Tout au long de sa vie, elle revendique avec force, sinon violence, la libertĂ© de penser et dâagir de mĂȘme que la libertĂ© sexuelle. Ăcrivaine, poĂšte, muse, Ă©ditrice, militante, anarchiste, activiste, elle a explorĂ© des formes alternatives du modernisme et ses combats les plus fameux ont Ă©tĂ© menĂ©s contre le racisme et le fascisme.
InstallĂ©e Ă Paris dans les annĂ©es 20, elle incarne, avec sa silhouette filiforme, presque androgyne, et son Ă©lĂ©gance sophistiquĂ©e, une icĂŽne de la belle Ă©poque. Elle est aussi une Ă©gĂ©rie des mouvements artistiques et littĂ©raires de lâavant-garde : surrĂ©alisme, dadaĂŻsme, etc.
Collectionnant lâart africain, une photo cĂ©lĂšbre de Man Ray nous la rĂ©vĂšle parĂ©e de multiples rangĂ©s de bracelets dâivoire aux bras. Cette ornementation originale devient sa signature.
Elle cĂŽtoie de nombreux crĂ©ateurs parmi lesquels RenĂ© Crevel,  Wyndham Lewis, Aldous Huxley, Tristan Tzara, Ezra Pound, Ernest Hemingway, James Joyce, Constantin Brancusi, Langston Hughes, William Carlos Williams et Samuel Beckett. Elle connaĂźt une relation amoureuse tumultueuse avec Louis Aragon qui dure deux ans mais, selon plusieurs, qui les hantera tous les deux jusquâĂ la fin de leurs jours.
En 1927, elle acquiert une ferme Ă Â La Chapelle-RĂ©anville, en Normandie, oĂč elle amĂ©nage une imprimerie artisanale, The Hours Press qui produit des Ćuvres dâune qualitĂ© Ă©ditoriale exceptionnelle. The Hours Press publie notamment le Whoroscope en 1930 qui contribue Ă la dĂ©couverte dâun jeune auteur prometteur : Samuel Beckett. D’autres publications telles que Les Cantos de Ezra Pound Ă©tablissent la renommĂ©e de cette maison dâĂ©dition dĂ©diĂ©e Ă la littĂ©rature expĂ©rimentale.
AprĂšs Aragon, le musicien de jazz noir, Henry Crowder partage sa vie par intermittence, des Ă©pisodes plus Ă©prouvants quâheureux en raison de son tempĂ©rament troublĂ© et des expĂ©dients dont elle abuse. Ensemble, Crowder et Cunard Ă©crivent une Ćuvre culte : Negro: An Anthology. Cet ouvrage documentaire, dont le projet est inĂ©dit, vise Ă rĂ©unir et Ă cĂ©lĂ©brer la diversitĂ© et la richesse de la culture noire Ă travers le monde. Lâengagement politique de Cunard pour les droits civiques et pour lâĂ©galitĂ© raciale ne flĂ©chira jamais. Lors dâun sĂ©jour aux Etats-Unis, elle reçoit des menaces de mort.
Elle Ă©crit de nombreux articles pour des pĂ©riodiques pendant la guerre civile espagnole et sâengage jusqu’Ă lâĂ©puisement dans la lutte contre le fascisme. Elle participe Ă lâorganisation dâactivitĂ©s pour aider les rĂ©fugiĂ©s espagnols dont elle dĂ©nonce les conditions de captivitĂ©, la souffrance et lâindiffĂ©rence des pays face Ă leur situation. Elle est aussi active pour le compte de la RĂ©sistance pendant la seconde guerre mondiale comme traductrice.
Une partie significative de sa contribution prend la forme dâun exercice de curation littĂ©raire oĂč elle sâinvestit dans la rĂ©alisation dâĆuvres thĂ©matiques sur la guerre avec des auteurs invitĂ©s qui sont souvent des exilĂ©s politiques tels que Tristan Tzara et Pablo Neruda. Au mi-temps de son existence, elle se consacre Ă lâĂ©criture de mĂ©moires, les siennes, mais aussi celle de ses amis, Norman Douglas et de Georges Moore.
NĂ©e en 1896, elle meurt en 1965 Ă Paris, presque dans l’indigence, terrassĂ©e par la maladie mentale et par les rĂ©percussions de sa consommation excessive d’alcool et de drogue. Lâurne qui contient les cendres de sa dĂ©pouille a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e au cimetiĂšre du PĂšre-Lachaise, lot 9015.
Le MusĂ©e du quai de Branly lui consacre une exposition en 2014 intitulĂ©e « LâAtlantique noir de Nancy Cunard ». Cet Ă©vĂ©nement souligne le quatre-vingtiĂšme anniversaire de la publication de Negro.
Domaine public
- 1921 : Outlaws, Londres, Elkin Mathews.
- 1923 : Sublunary, Londres & New York, Hodder & Stoughton
- 1925: Parallax, Londres, L. & V. Woolf
- 1931: Black and White Man Ladyship, pamphlet
- 1934 : Negro: An Anthology, Londres, Nancy Cunard at Wishart & Co.
- 1937 : Authors Take Sides
- 1937 : Los poetas del mundo defienden al pueblo español, avec Pablo Neruda.
- 1942 : The White Man’s Duty: An analysis of the colonial question in the light of the Atlantic Charter, avec George Padmore.
- 1942 : « Poems for France », Londres, éditions de la revue La France Libre.
- 1944 : Releve into Marquis
- 1954: Memories of Norman Douglas, coll. « Grand Man », biographie, Londres, Secker & Warburg.
- 1956: Memories of George Moore, coll. « Grand Man », biographie, Londres, Rupert Hart-Davis.
- 1969 : These Were the Hours: Memories of My Hours Press, Reanville and Paris, 1928â1931. Edited with a foreword by Hugh Ford, Carbondale, Southern Illinois University Press.
- 1971 : Thoughts About Ronald Firbank
Sources
-  François Buot, Nancy Cunard, Fayard-Pauvert,â 2008.
- Lois Gordon, Nancy Cunard: Heiress, Muse, Political Idealist, Columbia University Press,â 2007.