Il est rassurant de constater que Robert Charbonneau nâest pas complĂštement tombĂ© dans lâoubli. La preuve : le plus rĂ©cent prĂȘt, Ă la bibliothĂšque oĂč je travaille, remonte Ă 2017 et câĂ©tait pour La France et nous : journal dâune querelle. NĂ© en 1922 dans un milieu ouvrier et mort en 1967, il aura touchĂ© Ă tous les aspects de la carriĂšre des lettres, et ce dans une vie relativement courte, 56 ans.
De lâhomme, on retient quâil Ă©tait rĂ©servĂ©, solitaire, tourmentĂ©. Ne dit-il pas dans son Journal : « Je suis nĂ© angoissé ».  ProfondĂ©ment croyant, il avait soif dâabsolu comme bien des jeunes issus des collĂšges classiques de son Ă©poque.
Lâhomme de lettres marque son Ă©poque, celle des annĂ©es prĂ©cĂ©dant la Seconde Guerre jusquâĂ la RĂ©volution tranquille. Avec Paul Beaulieu, il fonde la RelĂšve en 1934, qui deviendra plus tard la Nouvelle RelĂšve. Sa mission: « jouer un rĂŽle social en rendant pour sa part dans le monde la primautĂ© au spirituel ». Charbonneau rallie des confrĂšres du collĂšge Sainte-Marie, son alma mater, dont Hector de Saint-Denys Garneau, Jean Le Moyne et Robert Ălie. Revue dâinfluence catholique, avec Maritain et Mounier comme modĂšles, on y traite de littĂ©rature, dâarts, de spiritualitĂ©, de politique et de sociĂ©tĂ©. Lâengagement est davantage spirituel et ne prĂŽne aucune appartenance Ă un parti politique.
En 1940, la France est occupĂ©e et les livres français sont introuvables. On voit la crĂ©ation de maisons dâĂ©dition quĂ©bĂ©coises qui prennent la relĂšve en Ă©ditant et diffusant les auteurs français. Câest dans ce contexte que Claude Hurtubise et lui fondent les Ăditions de lâArbre en 1941, une aventure qui se termine en mĂȘme temps que la Nouvelle RelĂšve, en 1948. La devise de la maison : « Des Ćuvres de la plus haute qualitĂ©, des livres dont lâintĂ©rĂȘt dĂ©passe lâactualité ». NommĂ© directeur littĂ©raire, Charbonneau accorde une bonne place aux auteurs dâici, des dĂ©butants pour la plupart, tout en publiant des auteurs français contemporains et classiques. Câest aux Ăditions de lâArbre qu’Anne HĂ©bert est publiĂ©e pour la premiĂšre fois avec Les songes en Ă©quilibre. On retrouve aussi les jeunes Roger Lemelin et Yves ThĂ©riault ainsi que Rex Desmarchais et Berthelot Brunet. La fin de lâArbre est marquĂ©e par une polĂ©mique avec des Ă©crivains français : Charbonneau affirme lâautonomie de la littĂ©rature canadienne-française face Ă celle de la France, la comparant Ă un arbre plutĂŽt qu’une simple branche de lâarbre quâest la littĂ©rature française.
ParallĂšlement, il doit gagner sa vie car la RelĂšve est un travail bĂ©nĂ©vole. Journaliste, il commence Ă la Patrie, en 1936, en traduisant des dĂ©pĂȘches. Il gravit les Ă©chelons pour devenir directeur de lâinformation Ă la Presse, treize ans plus tard. Ce milieu quâil connaĂźt bien, il en fera la toile de fond de son roman Aucune crĂ©ature, publiĂ© en 1961.
NommĂ© directeur du Service des textes de Radio-Canada en 1955, il maintient son engagement au service dâune littĂ©rature canadienne-française libre et authentique. On lui doit dâavoir encouragĂ© Roger Lemelin Ă transformer son roman les Plouffe en feuilleton radiophonique, avec le succĂšs que lâon sait.
Fait rare Ă lâĂ©poque, Charbonneau a dâabord rĂ©flĂ©chi Ă Â lâĂ©criture romanesque avant dâĂ©crire son premier roman. Ces essais, publiĂ©s dans la RelĂšve, ont plus tard Ă©tĂ© regroupĂ©s sous le titre de Connaissance du personnage. Pionnier du roman psychologique, lâauteur sâefface devant le personnage, souvent tourmentĂ©, qui sâexprime par un monologue intĂ©rieur. Lâintrigue, rĂ©duite, laisse la place aux conflits moraux, doutes et questionnements. Il aime aussi mettre en scĂšne le monde des lettres : on rencontre un Ă©crivain en herbe dans Fontile et un autre avec une solide rĂ©putation dans Aucune crĂ©ature. Dâautres personnages discutent de littĂ©rature, publient dans des revues dâavant-garde des poĂšmes incomprĂ©hensibles (Fontile), font des constats comme « tu es absent de ton Ćuvre » (Aucune crĂ©ature), trouvent refuge dans les livres (Aucun chemin nâest sĂ»râŠ), fondent une revue semblable Ă la RelĂšve (Chronique de lâĂąge amer). Reconnu de son vivant, ses romans sont primĂ©s par les prix David et Duvernay. Il reçoit la mĂ©daille Chauveau de la SociĂ©tĂ© royale du Canada.
Il est de la fondation de lâAcadĂ©mie canadienne-française et il y assume des postes de direction. On fera appel Ă lui pour dâautres fonctions dâimportance Ă la SociĂ©tĂ© des Ă©diteurs et Ă la SociĂ©tĂ© des Ă©crivains canadiens. Câest dire que son expĂ©rience et ses connaissances ont servi au dĂ©veloppement de nos institutions culturelles naissantes.
OĂč trouver les Ćuvres de Robert Charbonneau aujourdâhui ? Deux titres en rĂ©Ă©dition sont encore disponibles sur le marchĂ©. Pour les autres, on se tourne vers les librairies dâoccasion ou les bibliothĂšques. Et si la chance nous sourit, on met la main sur lâĂ©dition originale dâIls possĂ©deront la terre imprimĂ©e sur papier vergĂ© « Byronic », publiĂ© en 1941 aux Ăditions de lâArbre. Pourquoi se priver dâun tel plaisir ? LâĂ©diteur quâĂ©tait Robert Charbonneau, attentif Ă toutes les Ă©tapes de la fabrication de ses livres, aurait acquiescĂ©. Et, qui sait, ses Ćuvres auront peut-ĂȘtre une nouvelle vie grĂące au web : Ă compter du 1 janvier 2018, elles tombent dans le domaine public.
Sources
- Ducrocq-Poirier, Madeleine. (1972).  Robert Charbonneau. Montréal : Fides.
- Ducrocq-Poirier, Madeleine. (1971).  Robert Charbonneau. Liberté, 13(2). 136-141.
- Groupe de recherche sur l’Ă©dition littĂ©raire au QuĂ©bec. (1991). Ăditeurs transatlantiques. Sherbrooke : Ex Libris.
- ThĂ©rio, Adrien. (1986). En hommage Ă Robert Charbonneau / Les Ăcrits du Canada français, no 57.  Lettres quĂ©bĂ©coises, 43(automne), 40-41.
Bravo GisĂšle. J’aime beaucoup le dĂ©but oĂč tu nous fait part de la renommĂ©e et l’oubli….. Ton style est alerte.
Bonjour HĂ©lĂšne. Merci de votre commentaire. Comme vous le remarquez, la renommĂ©e et lâoubli sont de proches parents. Justement, le Calendrier de l’Avent redonne une visibilitĂ© Ă ces personnages importants qui ont bĂąti notre histoire.
Quelle écriture concise, rythmée qui salue la carriÚre de cet homme de lettre et de mots.
Merci GisĂšle…