Erwin Panosky Ă©tait lâun des plus grands historiens de lâart du monde occidental et selon Henri Van de Waal « probablement le dernier humaniste ». AprĂšs avoir passĂ© une demi-journĂ©e en compagnie de sa petite-fille, il choisit ainsi son Ă©pitaphe : « Il dĂ©testait les bĂ©bĂ©s, le jardinage et les oiseaux mais aimait quelques adultes, tous les chiens et les mots ».
NĂ© Ă Hanovre en 1892 dâune riche famille miniĂšre juive de SilĂ©sie, il grandit et commence ses Ă©tudes Ă Berlin comme Ă©tudiant en droit. Sa vaste culture lui permet dĂ©jĂ Ă 19 ans de soumettre un article sur lâesthĂ©tique dâAlbrecht DĂŒrer, ce qui lui vaut un prix et rĂ©oriente sa carriĂšre. AprĂšs des Ă©tudes Ă Fribourg, Ă Berlin et Ă Munich, il devient historien de lâart et spĂ©cialiste de lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale.
Ă 29 ans il sâinstalle Ă Hambourg et devient rapidement le premier professeur dâhistoire de lâart de cette nouvelle universitĂ©. MĂȘme sâil subit lâinfluence dâautres penseurs et collĂšgues de son Ă©poque (Aby Warburg, Ernst Cassirer), il gardera son indĂ©pendance et des mĂ©thodes bien Ă lui tout au long de sa vie. Il entretiendra une riche correspondance avec de multiples interlocuteurs tout en produisant annĂ©e aprĂšs annĂ©e une somme impressionnante dâĂ©tudes fondamentales dans des domaines trĂšs diversifiĂ©s.
A partir de 1931, il enseigne Ă temps partiel Ă lâuniversitĂ© de New-York. LorsquâHitler est nommĂ© chancelier d’Allemagne en 1933, il revient en Allemagne aider certains de ses Ă©tudiants Ă terminer leurs Ă©tudes puis, contraint par le rĂ©gime nazi Ă quitter son poste, il retourne sâĂ©tablir aux USA avec toute sa famille.
MariĂ© depuis 1916 Ă Dorothea « Dora » Mosse (1885â1965) â elle aussi historienne de lâart, il a deux fils. Le cadet, Wolfgang K. H. Panofsky (1919-2007), deviendra un Ă©minent physicien spĂ©cialiste en accĂ©lĂ©rateurs de particules qui contribuera Ă la mise au point de la bombe atomique. L’aĂźnĂ©, Hans Arnold Panofsky (1917-1988), deviendra lui aussi un scientifique Ă qui l’on devra plusieurs avancĂ©es en mĂ©tĂ©orologie.
Son influence
Erwin Panofsky enseigne entre autres Ă Princeton et Harvard et sera pendant les 27 derniĂšres annĂ©es de sa vie membre de lâInstitute for advanced studies (Princeton). Il traduit les textes mĂ©diĂ©vaux les plus impĂ©nĂ©trables et captive lâattention de ses Ă©tudiants en invoquant la littĂ©rature classique, lâhistoire des religions, lâhistoire des sciences (incluant lâastrologie et lâhistoire des mathĂ©matiques), lâhistoire du droit, la mythologie, etc. Ses commentaires, vivants et pleins dâhumour, contrastaient agrĂ©ablement avec lâariditĂ© des propos tenus par dâautres historiens de lâart de son Ă©poque 1.
Il pose la question « que signifiait cette Ćuvre d’art en son temps? » et innove en sâappliquant Ă la fois Ă faire lâĂ©tude trĂšs dĂ©taillĂ©e de lâĆuvre tout en encourageant ses lecteurs Ă creuser plus loin pour atteindre sa signification fondamentale, lâintention de lâartiste, la Weltanschauung (vision du monde dâoĂč cette reprĂ©sentation a Ă©mergĂ©) et, finalement, sa signification culturelle ou sa valeur symbolique plus large. Panofsky fut en effet le plus Ă©minent reprĂ©sentant de l’iconologie, mĂ©thode d’Ă©tude de l’histoire de l’art crĂ©Ă©e par Aby Warburg et ses disciples, en particulier Fritz Saxl, Ă l’Institut Warburg de Hambourg.
MĂȘme si la mĂ©thode iconologique sert mal certaines Ćuvres dâart â toutes celles oĂč lâexpĂ©rimentation formelle prime, les Ćuvres qui intĂšgrent des composantes mĂ©diatiques, numĂ©riques, sonores ou performatives, celles qui ciblent certains publics particuliers, etc. â, le travail de Panofsky sur ce qu’il a appelĂ© le symbolisme « caché » reste encore trĂšs influent dans l’Ă©tude et la comprĂ©hension de l’art de la Renaissance du Nord. Ses idĂ©es ont eu une grande influence sur l’histoire intellectuelle en gĂ©nĂ©ral. Son travail a notamment influencĂ© la thĂ©orie du goĂ»t dĂ©veloppĂ©e par le sociologue français Pierre Bourdieu dans des livres tels que « La Distinction – Critique sociale du jugement » (1979). Bourdieu a notamment adaptĂ© la notion d’habitus de l’ouvrage « Architecture gothique et pensĂ©e scolastique » de Panofsky, quâil avait traduit et publiĂ© en français dans la Collection « Sens commun » en prĂ©sentant lâouvrage comme un classique de la philosophie.
Plusieurs Ćuvres de Panofsky sont rĂ©guliĂšrement rĂ©Ă©ditĂ©es.
Domaine public
Au Canada, toute lâĆuvre de dâErwin Panofsky appartiendra au domaine public dĂšs le 1er janvier 2019. Certains de ses textes en anglais sont numĂ©risĂ©s et accessibles sur Internet comme par exemple « The Mouse Michelangelo failed to carve ».
Ćuvres traduites en français
- Idea. Contribution Ă l’histoire du concept de l’ancienne thĂ©orie de l’art (trad. Henri Joly), Paris, Gallimard, 1984.
- La Perspective comme forme symbolique (1924), 1927, rĂ©Ă©d. 1975 aux Ăditions de Minuit (ISBN 2-7073-0091-8)
- Hercule Ă la croisĂ©e des chemins et autres matĂ©riaux figuratifs de l’AntiquitĂ© dans l’art plus rĂ©cent (1930), traduit par DaniĂšle Cohn, Flammarion, 1999.
- Essais dâiconologie : thĂšmes humanistes dans l’art de la Renaissance (Studies in iconology, 1939), traduit de l’anglais par C. Herbette et B. TeyssĂšdre, prĂ©sentĂ© et annotĂ© par Bernard TeyssĂšdre, Paris, Gallimard, 1967.
- La Vie et lâArt dâAlbrecht DĂŒrer (The Life and Art of Albrecht DĂŒrer, Princeton, 1943), traduit par Dominique Le Bourg, Hazan 2012.
- Architecture gothique et pensée scolastique (1951) ; trad. fr. et postface de Pierre Bourdieu aux éd. Minuit, coll. « Le sens commun », 1967 (ISBN 2-7073-0036-5, 2-7073-0036-5 et978-2-7073-0036-2).
- Les Primitifs flamands (Early Netherlandish Painting, 1953). Paris:Hazan 2010.
- GalilĂ©e critique d’art, trad. de Galileo as a critic of the arts (La Haye:Nijhoff, 1954) et prĂ©f. par Nathalie Heinich. suivi de Attitude esthĂ©tique et pensĂ©e scientifique, par Alexandre KoyrĂ© Paris:Les Impressions nouvelles, 2001.
- avec Dora Panofsky, La BoĂźte de Pandore (Pandora’s box, the changing aspects of a mythical symbol, 1956) ; trad. de l’anglais par Maud Sissung, Paris:Hazan, 1990.
- La Renaissance et ses avant-courriers dans lâart en Occident (1960 ; trad. 1976). Traduit par Laure Meyer, Paris:Flammarion, 2008.
- L’Ćuvre dâart et ses significations (Meaning in the Visual Arts, 1955), traduit de l’anglais par Marthe et Bernard TeyssĂšdre avec une prĂ©sentation de Bernard TeyssĂšdre, Paris:Gallimard, 1969.
- Le Titien. Questions d’iconographie (1969). Paris:Hazan 2009.
- La sculpture funĂ©raire : de l’ancienne Ăgypte au Bernin, traduit de Tomb sculpture : four lectures on its changing aspects from ancient Egypt to Bernini par Dennis Collins, Paris:Flammarion, 1995.
- Trois essais sur le style (« Quâest-ce que le baroque ? », confĂ©rences de 1935 ; « Style et matiĂšre du septiĂšme art » (1934-1937) ; « Les antĂ©cĂ©dents idĂ©ologiques de la calandre de Rolls-Royce», 1963), rassemblĂ©s et prĂ©sentĂ©s par Irving Lavin ; avec un texte de William S. Heckscher ; trad. de l’anglais par Bernard Turle, 3e Ă©d. rev. et augm., le Promeneur, 1996.
- Peinture et dĂ©votion en Europe du Nord Ă la fin du Moyen Ăge; prĂ©sentation par Daniel Arasse ; trad. de l’allemand et de l’anglais, Paris: Flammarion
- avec Fritz Saxl: La mythologie classique dans l’art mĂ©diĂ©val, trad. de Sylvie Girard, Saint-Pierre-de-Salerne:G. Monfort, 1990.
Sources et références
- Henri Van de Waal. In MĂ©moriam Erwin Panofsky (March 30, 1892 â March 14, 1968) â 1972
- Un second regard sur le rire : l’humour dans les arts visuels – Artichaut, revue des arts de l’UQĂM – No 7 pages 105-110 | 2017 (MontrĂ©al, QuĂ©bec)
- AndrĂ© Chastel et coll. Erwin Panofsky. Cahiers pour un temps â Centre Georges Pompidou â Pandora Ă©dition – 1983
- Erwin Panofsky (Wikipédia (fr)
- Erwin Panofsky (Wikipédia (en)
Notes et liens complémentaires
- . Ă lâĂ©poque la majoritĂ© des enseignants et spĂ©cialistes de l’histoire de l’art traitaient principalement de problĂšmes dâattribution de responsabilitĂ© et de chronologie des Ćuvres. Cette approche, qualifiĂ©e dâ« antiquaire » par Yve-Alain Bois, un des fondateur de la revue Macula, dĂ©courageait bien des jeunes Ă©tudiants entre 1914 et les annĂ©es 70 en France. (Selon Yve-Alain Bois, retour sur le signifiant 12 au 21 juin 2013 – Entretiens avec Jean-Pierre Criqui – Centre Pompidou 2013).