Margaret Watkins

Margaret Watkins fut une photographe largement reconnue, de 1910 jusqu’à la fin des années 30. Puis oubliée… Jusqu’à ce que le hasard d’une amitié avec un voisin, Joe Mulholland, l’amène à lui léguer son œuvre. En 1967, elle lui remet à cet effet une boite noire, solidement nouée. Ce leg est cependant assorti d’une condition: elle fait promettre à son ami de n’ouvrir la boite qu’après son décès. Elle meurt deux ans plus tard, en novembre 1969, recluse et solitaire.

Préoccupé par la maladie de sa fille, Joe Mulholland laisse la boite sur une commode, et l’oublie. Alors qu’il va chercher une serviette dans cette commode, la boite noire placée dessus se rappelle un jour à son souvenir. Il en découvre le contenu en 1971 et, depuis lors, n’a de cesse que de faire redécouvrir l’œuvre et la vie de cette artiste photographe moderne et singulière.

Cette boite contient non seulement de nombreux tirages photographiques, mais aussi les archives de la vie de Margaret Watkins — ses lettres, notes, manuscrits, livres, et catalogues d’exposition.

Nous sommes en 2019, il est grand temps nous aussi de pouvoir dénouer les liens, de cette boite noire, au grand monde. Voir ce qu’elle nous a légué.

Margaret Watkins ne représente ni la figure de l’artiste révélée qu’une fois sa mort venue, ni la figure de la femme qui crée dans l’ombre d’un créateur. Elle n’est ni la femme de Rodin, ni George Sand, ni Colette. Elle est davantage le stéréotype de la femme émancipée qui combat les normes associées aux genres et revendique ses droits.

Elle réussit d’ailleurs le tour de force de vivre de la photographie, artistiquement et commercialement, au moins un temps, comme publicitaire dans un monde artistique et professionnel largement dominé par la gent masculine. Entre 1913 et 1937, on dénombre de nombreuses expositions de ses photographies aux États-Unis, en Europe, en URSS et même au Japon. Son succès lui est sans conteste contemporain.

Ce qui la forgera

Margaret Watkins est née en Ontario, à Hamilton, le 8 novembre 1884, fille unique dans une famille bourgeoise d’origine écossaise. De Glascow, précisément, où elle retournera en 1928 pour y retrouver et soigner ses vieilles tantes.

Dès le plus jeune âge, Margaret Watkins nourrit un intérêt marqué pour les formes musicales, visuelles et graphiques. Elle joue du piano et chante dans le chœur de son église, confectionne des designs originaux dont, adolescente, elle fait un petit commerce. Déjà artiste, elle n’en est pas moins éduquée selon des principes stricts issus des préceptes de son père, alors méthodiste. On lui inculque le rôle de ce que doit et ne doit pas faire une femme.

Margaret se rebellera plus tard contre la condition réservée aux femmes, affirmant son émancipation, questionnant dans son œuvre la place qui leur est dévolue. Dans la boite de ses archives, on retrouvera des témoignages de ces traits qui caractérisent et s’incarnent chez l’adulte qu’elle est devenue:

• le livre « A Guide to Parsifal », sur la musique wagnérienne, dénote son goût pour les formes nouvelles de musique;
• le pamphlet « Home Life Responsibilities » témoigne de la conscience qu’elle a de ce carcan auquel le rôle des femmes est relégué;
• enfin, un pamphlet non moins révélateur de son féminisme intitulé « Women’s Place in the Police Department of the City of New York ».

Voilà qui campe le personnage.

Une femme émancipée

Le 1er juin 1909, déplorant l’hypocrisie et le conformisme de sa vie à Hamilton, Margaret Watkins quitte sa famille à 24 ans et part vivre au sein de la communauté Roycroft Arts and Crafts. En 1911-1913, elle rejoint le Camp Lanier, dans le Maine. C’est à cette époque qu’elle apprend notamment la photographie. Selon ses notes, elle y côtoie d’autres artistes … Elbert Hubbard, Éric Perkins pour ne citer qu’eux. Elle est aussi  très influencée par la pensée de Max Weber. Elle s’engage aussi, durant cette période, dans le féminisme émancipatoire qu’elle incarne pour l’éternité.

En 1913, elle déménage à Boston et travaille comme assistante dans le studio de photographie d’Arthur Jamieson. Reconnue pour son don d’« arriver à sortir quelque chose de rien », elle devient aussi la photographe officielle du Camp Lanier. Elle produit alors une centaine de photographies des activités du Camp.

En 1915, elle est engagée par la photographe Alice Broughton qui dirige un studio dans Greenwich Village, à New York. Tout en travaillant, elle continue d’étudier la photographie dans l’école, très renommée, de Clarence H. White, où elle enseignera par la suite, au tournant des années 20.

Célibataire, elle vit dans un appartement de Greenwich Village, quartier réputé sécuritaire pour la gent féminine. Cela ne l’empêche pas de s’intéresser au sort de la plupart des femmes, comme en témoigne le livre, trouvé dans ses archives, traitant des femmes dans la police new new-yorkaise ainsi que sa série de photographies de femmes immigrantes italiennes. En dehors de son travail, elle s’adonne à la musique et à la poésie. Ses vers attestent de son positionnement pacifiste face à la première guerre mondiale et de son féminisme.

Du quotidien, une esthétique singulière

Attirée par la modernité, elle se singularise rapidement. Opus 1 en 1914 en est la première manifestation. Dans son travail photographique, elle s’intéresse à la nouveauté des formes, à la composition graphique ainsi qu’au quotidien domestique dévolu aux femmes. La modernité n’est pas l’apanage des hommes. La féminité encore moins.

Ce qui séduit, c’est le regard qu’elle porte sur les objets de la vie quotidienne. Car c’est bien de l’univers des femmes qu’elle choisit ses sujets de prédilection: l’évier, le bain… Par la composition, elle en révèle le dynamisme, insufflant la vie à ces objets, comme une subversion de la nature morte.

La fin d’une œuvre

Margaret Watkins atteint son apogée durant la période 1913-1928. Elle expose, tout en continuant à travailler comme publicitaire. En 1928, la mort subite de Clarence H. White et les conflits qui s’ensuivent avec sa veuve amènent Margaret à quitter New York. Elle décide alors de voyager en Europe. Dans un premier temps, elle se rend en Écosse pour visiter ses tantes, qu’elle trouve vieilles et malades. Elle demeurera avec elles, s’octroyant quelques voyages en Allemagne, en France et en Russie.

Curieuse de l’art soviétique avant-gardiste lorsqu’elle habitait New York, elle part en 1933 pour Moscou et Leningrad. Elle y fait des photographies de rue et continue son exploration de la géométrie dans la composition.

Margaret Watkins est fascinée par la composition et l’efficacité graphique qui émanent de l’art avant-gardiste soviétique. Elle dira de ces artistes qu’ils sont des « maîtres de la propagande visuelle » car « qui ne sait pas lire ne peut passer à côté de leurs images ». Émise par une publicitaire américaine, cette remarque ne peut que soulever une certaine ironie.

Jusqu’en 1937, elle continue de photographier, se tournant de plus en plus vers des sujets abstraits, des clichés très marqués par la géométrie des formes. Passé 50 ans, elle fait encore quelques photographies de Glasgow, en Écosse, où elle s’occupe de ses tantes et devient copropriétaire d’un magasin d’antiquités. Elle photographie sa maison, la ville de Glascow, le fleuve, les docks, des cargos, les motifs de tapis ou de tapisseries. À travers ces sujets, elle s’attache à révéler l’abstraction géométrique qui les compose.

Durant la Seconde Guerre mondiale, Margaret Watkins est aux prises avec les contingences matérielles auxquelles tous ses contemporains doivent faire face. Ces difficultés finissent par mettre un terme à sa carrière d’artiste photographe. Mais elle continue d’autres de ses combats, notamment en luttant explicitement contre le racisme en Grande-Bretagne.

Domaine public

Au Canada, toute l’œuvre de Margaret Watkins appartiendra au domaine public dès le 1er janvier 2020.

Plusieurs de ses œuvres font partie des collections du Musée des beaux-arts du Canada, qui les acquis en 1984 grâce à une subvention du gouvernement fédéral en vertu de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels.

Quelques photographies notoires de sa période faste:

• Margaret Watkins, Opus 1 (1914), 23,3 x 30 cm
• Margaret Watkins, Symphonie domestique (1919), épreuve au palladium, 21,2 x 16,4 cm
• Margaret Watkins, Nature morte – tuyau de douche (1919), épreuve à la gélatine argentique, 21,2 x 15,9 cm
• Margaret Watkins, Academic Nude – Tour d’ivoire (1924), épreuve au palladium, 21.2 x 16 cm.

Sources et références

• Cuchi, Maud. 2012. « La mission de Joseph Mulholland: l’œuvre de Margaret Watkins exposée au MBAC ». Le Droit, 5 octobre 2012 (p. 33).
• « Margaret Watkins ». 2019. Wikipédia.
• O’Connor, Mary Elizabeth. 2007. Seduced by modernity: the photography of Margaret Watkins. Montréal: McGill-Queens University Press.
• Pauli, Lori. 2012. Margaret Watkins: symphonies domestiques. Ottawa: Musée des beaux-arts du Canada.
• Stauble, Katherine. 2012. « Margaret Watkins. Son et image ». Musée des beaux-arts. 17 décembre 2012.

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