J’ai découvert une autrice qui portait un prénom: Anne-Marie. J’ai lu ses trois romans dans le désordre, mais avec une curiosité croissante. Tiens, ces textes auraient pu être signés avec des pseudonymes différents tant ils arboraient des personnalités et des intentions artistiques singulières. Pourtant, ils avaient en commun une vérité dans l’écriture et une réelle profondeur dans la réflexion.
Puis, j’ai découvert derrière Anne-Marie, le nom dans l’ombre: Nellie Maillard. Une autrice québécoise qui a écrit trois romans, sous un pseudonyme, et d’excellente facture, il y a plus de cinquante ans, et dont il n’existe plus guère de traces. Un mystère.
Enquête biographique
J’ai d’abord trouvé une notice généalogique dévoilant quelques données. Nellie Maillard naît le 17 novembre 1917 à Lyon.1 Elle est la fille de Charles Maillard (1887-1973) et de Renée Chabaneau. Elle est encore jeune enfant lorsque sa famille arrive à Montréal. Son père est peintre et prend le poste de directeur de l’École-des Beaux-Arts de Montréal fondée par Athanase David (1888-1952).
Quelques années plus tard, à l’été 1944, elle épouse, à Montréal le fils d’Athanase David, Paul David, qui est cardiologue ⏤ et selon les indications de cette notice, la cérémonie se tient à la basilique Notre-Dame à Montréal.2 Ce médecin est fort connu: avec les Sœurs Grises, il fonde l’Institut de cardiologie de Montréal en 1954; en 1968, il participe à la première greffe de cœur au Canada. Il sera aussi sénateur.
Sa lignée est aussi notoire, en amont comme en aval, et pour cause — en bas de la notice généalogique, il est indiqué que le couple a eu six enfants: Françoise, Pierre, Charles-Philippe, Thérèse, Anne-Marie et Hélène David. Eh bien, je commence à être sérieusement intriguée.
Un autre lien mène vers un article consacré à la famille David sur le site de Radio-Canada.3 Les membres de l’illustre famille sont tour à tour passés en revue: Pierre, producteur de films; Françoise, politicienne, féministe et militante altermondialiste; Anne-Marie, enseignante et militante; Hélène, professeure de psychologie, politicienne, ancienne ministre de la culture; Thérèse David, active dans les relations publiques, récipiendaire de plusieurs prix dans le domaine; Charles-Philippe David, professeur en sciences politiques. Le grand-père, Athanase David, a joué un rôle important dans le transfert des responsabilités liées à l’éducation et à la culture de l’Église vers l’État et dans la création d’institutions comme les Archives nationales ou les écoles des Beaux-Arts de Montréal et de Québec. Sur la mère, un raccourci d’information qui en dit long: « Leur mère, Nellie Maillard (1917-1969), était la fille de Charles Maillard, ancien directeur de l’École des Beaux-Arts de Montréal. » Elle est donc la fille de. L’épouse de. La mère de. Je n’en saurai pas plus sur elle ici, sinon que cet article donne à penser qu’il s’agit d’un cas de suppression d’identité et de carrière d’autrice.
Je vérifie sur L’île, l’infocentre des écrivains québécois, et dans le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord: aucun résultat. Je consulte les bases de données des archives nationales du Québec et du Canada, puis celles de Montréal pour vérifier la présence d’un fonds ou de document: aucun résultat. Dans l’Encyclopédie canadienne, pas d’entrée sur elle, mais l’article portant sur Paul David précise que Nellie Maillard, épouse en première noces, dispose d’un statut: romancière. L’enquête ne s’annonce pas particulièrement facile.
Heureusement que l’on peut compter sur l’offre numérique de BAnQ et la recherche dans les journaux numérisés! Un article de La Presse du mercredi 2 avril 1969 rapporte son décès et titre: « Montréal pleure une grande Canadienne ». Le texte souligne que « [p]lusieurs personnalités en témoignent et parmi celles-là quelques-unes ont bien voulu, malgré une émotion visible s’entretenir avec nous de cette Canadienne dont le rayonnement ne s’éteindra jamais. »4
Le rayonnement des acteurs et des actrices de la culture, d’hier et d’aujourd’hui, émane d’une flamme fragile. Le cas de cette autrice permet de lever le voile sur certains des aléas et des obstacles que ce devoir et défi de mémoire représentent, tout en nous permettant de redécouvrir une véritable écrivaine qui s’est éteinte trop vite ⏤ en dépit des convictions de cette journaliste.
Nellie Maillard décède le 31 mars 1969 à l’âge de 51 ans. Ses funérailles se déroulent à l’église Saint-Viateur d’Outremont. Elle est inhumée au Cimetière Notre-Dame-des-Neiges5. L’histoire littéraire n’a pas prêté, à Anne-Marie, une notoriété qui aura survécu très longtemps à Nellie Maillard.
Indices, témoignages et entretiens
Cette élégie publiée dans La Presse de l’époque rassemble des témoignages de certaines personnes qui l’ont connue et qui fournissent quelques informations sur sa jeunesse. D’anciens professeurs parlent d’une « [e]nfant brillante, cultivée, voyageant beaucoup » qui « savait intéresser compagnes et professeurs par ses récits discrets mais imprégnés d’histoire. »6. On ajoute que « [c’]était une élève à l’âme rayonnante, lumineuse, épanouie donnant aux véritables valeurs tout leur sens. »7 Des prédispositions précoces pour l’écriture que son père reconnaît en partageant quelques-uns de ses poèmes auprès de son entourage, et notamment avec une religieuse à qui son choix de pseudonyme — Anne-Marie — voudra rendre hommage8. À noter qu’une de ses filles, née en 1951, porte aussi ce prénom. Le même article souligne l’intensité de son engagement social en citant plusieurs organisations, dont certaines à vocation religieuse, dans lesquelles elle s’implique.
Toujours par le biais de la collection numérique de BAnQ, dans le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec et dans quelques journaux numérisés où il est possible de repérer des entretiens auxquels elle a participé à la sortie de ses romans ⏤ fort bien accueillis du reste ⏤, d’autres informations biographiques émergent. Elle étudie à Villa Maria, une école dirigée par la Congrégation de Notre-Dame ⏤ l’établissement dispense aujourd’hui un prix littéraire qui porte son nom, le Prix Nellie Maillard9. Elle poursuit des études en psychologie à l’Université McGill.
À travers certaines rubriques comme Nouvelles de la navigation, qui sont publiées dans La Presse, les noms de ses parents et le sien apparaissent à diverses reprises, signalant des voyages en Europe10. On apprend même qu’elle a participé à un grand bal à l’Hôtel Windsor le 3 février 193711; qu’en 1941, elle donne des cours de français aux ouvrières de la robe de Montréal12 et que, pendant la guerre, elle travaille pour la Croix-Rouge13. Elle a été membre du comité exécutif des Jeunesses littéraires du Canada français14. Son implication sociale et littéraire l’amène à collaborer à différentes publications et à donner des conférences à travers le Québec.
Dans des entrevues assez récentes, ses filles, Françoise et Hélène David soulignent l’environnement propice à la lecture et à la culture que leur mère créait dans la maison familiale. Hélène David affirme qu’il « y avait une aura incroyable pour la lecture, la culture en général… Ma sœur Françoise était une lectrice qui dévorait les livres! Elle faisait acheter des livres, mais ce n’était pas difficile — ma mère mettait beaucoup d’importance sur la lecture.15 » Elle propose au passage une comparaison entre deux romans séparés par quelques générations, dont l’action se déroule à Outremont: L’aube de la joie et Lekhaïm! Chroniques de la vie hassidique à Montréal16 de Malka Zipora: « J’ai l’impression, dit Hélène David, de lire le premier livre de ma propre mère, L’aube de la joie. Avec les six enfants, la famille, la “station wagon”… »17
Françoise et Hélène David soulignent tour à tour l’influence de leur mère et des convictions qu’elle portait en matière de justice sociale. Dans un entretien téléphonique, Hélène David insiste avec force sur cet aspect18. Françoise David revient elle aussi sur le rôle de sa mère dans son parcours, des valeurs sociales transmises (« Quel que soit leur milieu social, [tous et toutes] ont droit à la même considération »), l’importance de l’entraide et du partage19. Elle ajoute que « [C]ette femme portait des valeurs qu’on appellerait aujourd’hui « chrétiennes de gauche », mais elle ne me l’a jamais dit. J’ai absorbé tout ça comme une éponge.20 »
Une carrière d’écrivaine et une œuvre engagée
L’aube de la joie (1958)
Le premier roman de Nellie Maillard, L’aube de la joie, est remarqué et fait l’objet de plusieurs recensions critiques favorables. Ré-édité à deux reprises, il sera aussi un succès de librairie. Roman à clé, on dirait aujourd’hui qu’il appartient au genre prisé de l’autofiction21. L’œuvre est construite en hybridant la narration historique et le récit fictif d’une expérience subjective ancrée dans une réflexion personnelle, philosophique et spirituelle. Les noms des protagonistes ont été changés. Une sélection d’événements est privilégiée lui permettant de rompre avec les contraintes du « pacte autobiographique »22 pour supporter une fiction morale, avec un commentaire social résolument cinglant. Ce roman, plus existentiel que personnel à bien des égards, s’inscrit dans la tradition des écrivains catholiques dont Maillard se réclame (Gilbert, Cesbron, Daniel Rops, Michel de St-Pierre).23 Extrait:
« Le mouvement, la fumée, le bruit, la coloration étrange, tissent autour de ma tête un réseau qui l’emprisonne! J’éprouve une sourde angoisse: il me semble une fois de plus toucher du doigt toute la misère du monde. Elle est camouflée en plaisir numéro un. On se libère, on oublie, on s’évade en cherchant des sensations qui tiendront lieu de bonheur pour un soir. Qu’importe si c’est du frelaté! Y a-t-il seulement autre chose…! À travers ces éclats de rire, ces répliques grivoises ou dénuées de sens, au-delà de cette verve, de cette surexcitation, on croit entendre un appel passionné de ces âmes dépourvues de joie et d’amour authentiques.24 »
Cependant, la réception critique semble plus ou moins consentir à la reconnaissance de cette quête morale menée par l’autrice. Les journalistes préféreront généralement s’intéresser à sa condition de femme, d’épouse et de mère.
Un entretien consacré à « Anne-Marie et Madame Paul David », au moment de la publication de ce roman, dans l’édition du 20 août 1960 du journal Le Devoir, est placé dans la rubrique « La femme au foyer et dans le monde »25. Nellie Maillard en profite néanmoins pour expliquer le titre de son ouvrage:
« Le titre dit bien ce qu’il veut dire. La joie complète, absolue n’est pas de ce monde. Le bonheur humain, le mieux réussi n’est vraiment que l’aube de la joie, la vraie joie est ailleurs. Et je suis contente d’avoir l’occasion de l’exprimer ici. Je crois que si on néglige totalement l’aspect spirituel de ce livre, on risque de passer à côté de l’essentiel. L’aube de la joie apparaîtra peut-être alors comme une histoire, un peu fade, un peu banale. »26
La journaliste l’interroge ensuite sur les auteurs qui lui servent d’inspiration, mais aussi sur ce que lisent ses enfants, et veut connaître son point de vue sur l’éducation de ceux-ci.
Dans la revue Lectures (mercredi 15 avril 1959) une comparaison avec l’« écrivain » Berthe Bernage, qui a publié la série culte des Brigitte, est amenée. La critique, signée C.L., poursuit en adoptant un point de vue condescendant sur le récit du quotidien de la « jeune femme » et de la « petite épouse »:
« L’aube de la joie, c’est un peu le journal que tient une jeune femme de médecin, mère de trois petits enfants. On la suit presque pas à pas tout au long de ses journées de petite épouse, de femme du monde et de mère de famille. A la voir s’épanouir pendant les jours de soleil et lutter dans la grisaille de certaines périodes, une leçon se dégage, toujours tonique. »27
Cette lecture fait fi de la critique sociale qu’elle élabore, de la quête éthique qui l’anime. L’interprétation délimite aussi une catégorie de référence (« la presse du cœur ») et un public genré (« les lectrices ») autour de l’œuvre: « On ne pourra jamais assez multiplier de pareils livres qui sont, pour les lectrices, de merveilleux antidotes contre l’abrutissement de la presse du cœur. »
Plus récemment, le blogue Laurentiana revient sur cette œuvre tout en suggérant une comparaison entre l’autrice et Gabrielle Roy. Toutefois, il lui reproche en substance d’être un roman à thèse. Le critique affirme que le succès moins durable de Nellie Maillard serait attribuable à son propos plutôt didactique sur la religion: « Ce qui empêche le roman de passer l’épreuve du temps, c’est le message lui-même, et surtout la manière de le livrer. Maillard appuie trop sur la thèse qu’elle veut faire passer. »28
La nuit si longue (1959)
La journaliste, Monique Duval, du journal Le soleil (26 octobre 1960), couvre la sortie de son second roman, La nuit si longue, paru aux Éditions du Cercle du Livre de France.29 Le directeur, Pierre Tisseyre, est alors l’un des rares éditeurs qui encourage le production des écrivaines30.
Comme dans L’aube la joie, la famille est le théâtre du récit. D’entrée de jeu, la journaliste aborde son statut de mère de famille de l’autrice en regard de sa pratique d’écrivaine. Anne-Marie se justifie en exposant le contexte dans lequel elle crée:
« Écrire m’apporte de la joie et, le fait d’être mère de plusieurs enfants ne me gêne pas dans mon travail; bien au contraire. Je me suis toujours intéressée à la famille, aux problèmes psychologiques propres à l’adolescence et à la jeunesse et je considère que la présence de mes six enfants m’aide dans mon travail littéraire. »31
Elle enchaîne en évoquant le thème et le cadre dans lequel s’inscrit ce second roman:
« La vie familiale me fournit toujours mes premières sources d’inspiration. Ainsi, dans ce second livre, il s’agit de la vie d’une jeune fille, de 18 ans, de son attitude envers ses parents, de son rôle dans la vie moderne. Située dans le milieu médical, l’héroïne est animée du même esprit, du même idéal qui animaient les personnages de L’Aube de la Joie. »32
La journaliste revient une seconde fois en insistant sur sa condition de mère de famille: « Une femme qui est à la fois épouse, mère d’une famille nombreuse, écrivain, ne doit pas avoir assez de 24 heures par jour pour suffire à la tâche. » Ce à quoi Anne-Marie répond: « Je n’ai, en effet pas beaucoup de temps pour faire autre chose. Ainsi, j’aime la lecture et ne puis malheureusement pas lire autant que je le souhaiterais.33 » Elle donne alors quelques indications au sujet de ses priorités de lecture: « Cependant, je vous dirais que je prends le temps de lire ce que se rattache aux questions sociales. Les œuvres religieuses m’intéressent également beaucoup, Cesbron, Daniel Rops, Michel de St-Pierre sont les auteurs que je préfère. J’ajouterai que les écrits de l’abbé Pierre me touchent particulièrement car c’est un homme que j’admire et j’ai choisi une de ses phrases comme “entrée” à mon livre. »34 Selon ses dires, les intentions auctoriales sont définies autour des enjeux sociaux, et par suite, religieux. Extrait:
« Comment éviter cette corvée?… Pourrais-je m’esquiver à la fin de l’après-midi?…» Monique réfléchissait, la tête appuyée sur un coude, au bord de son lit, dans la pénombre de sa chambre. Elle songeait au buffet de 50 personnes qu’allaient donner ses parents, ce soir-là, et cherchait à y échapper. Elle éprouvait une véritable répulsion à l’idée de faire face à l’événement: « Je ne peux plus, se disait-elle, je ne peux même plus songer à cette immense mascarade, sans avoir envie de crier!… Comment faire… surtout en ce moment, où il me semble avoir perdu toute faculté de raisonner, où je ne me comprends plus! J’ai l’esprit en déroute… Mon Dieu, quelle est la force qui me tire violemment, à droite et à gauche, et quelle est cette angoisse qui me serre au creux de l’estomac. L’abbé Pierre me poursuit maintenant avec ses chiffonniers et sa misère… Je crois avoir trouvé une justification et j’ai trouvé un juge! J’ai honte, je me dégoûte, je prends en horreur par moments, la fille que je suis, mais ignore par qui la remplacer!… »35
L’article s’achève en précisant que ce roman — comme le premier — a été écrit avec la musique de Beethoven et Debussy comme paysage sonore et que l’autrice songe à l’écriture d’un troisième roman. Celui-ci paraîtra en 1967, soit huit ans après Une nuit si longue.
La nuit si longue est interprété comme une étude psychologique, dans le Dictionnaire des œuvres littéraires québécoises; d’autres critiques prennent aussi ce parti36. On fait valoir que, à la façon de son premier roman, la trame repose sur la présence d’une « mère avec ses difficultés d’adaptation ». En adoptant le schéma maternaliste du trouble psychologique qui est tendancieux, cette interprétation néglige la quête existentielle, le rôle central que joue une émotion morale comme l’angoisse, et la critique sociale qui l’accompagne.
Maintenant et toujours (1967)
Sur Ici Radio-Canada, le 20 mars 1967, le lancement du nouveau roman d’Anne-Marie, Maintenant et toujours est présenté ⏤ en même temps que trois autrices et un auteur du Cercle du Livre de France ⏤ comme un événement qui fait sensation.37. Le livre est publié à 3000 exemplaires.
Ce roman explore la crise socio-politique et morale qui pénètre la vie d’un jeune prêtre, de sa famille, d’un quartier. Le récit explore les mutations du Québec, les ruptures et les transitions, en convoquant la critique sociale et le conflit de classes. Le narrateur dénonce l’aveuglement et la perte de sens de la bourgeoisie, des institutions, qu’elles soient religieuses ou publiques en exposant, par exemple, les travers et les incohérences du milieu médical. Il interroge la question des inégalités, du statut des femmes, et revendique un parti-pris explicite en faveur de la justice sociale. Le renouveau social, la dignité, la libération passe, selon lui, par la solidarité chrétienne. C’est le plus politique des trois romans de Nellie Maillard. Extrait:
⏤ « Conflits de génération… conflits de classe sociales, chacun est prisonnier de son époque et de son milieu… je pense aux ouvriers de la rue des Pavés. »
⏤ « Il y a du nouveau? »
⏤ « Oui. »
Et l’abbé Pellerin relata à son professeur l’histoire de la grève causée par l’imposition des « swing shift ». Le besoin de justice sociale et le combat pour cette justice, qu’il comprimait en lui-même depuis des mois, trouvait enfin à s’exprimer.
⏤ « Il est certain qu’un rythme accéléré du travail est une source de déséquilibre pour les hommes et leurs familles, une source d’épuisement physique et moral pour le travailleur. Il porte en lui les germes des révolutions, et ceux de certaines déchéances. Il cherche une libération n’importe où, se sentant confusément entraîné dans une psychose de gains, de rendement, de production… »
⏤ « Eh! mon garçon te voilà parti pour la gloire syndicale! »
⏤ « Simplement humaine, Père, car notre civilisation moderne détruit l’être humain! Je parlais du travail, mais les loisirs sont aussi pernicieux, ils sont conditionnés par la publicité qui s’empare du pauvre et lui vend des mirages… Esclaves du matériel des deux côtés, comment voulez-vous après cela, qu’il puisse accéder à Dieu? » 38
Claire Roy, dans l’édition du journal Le nouvelliste du samedi 15 avril 1967, lui réserve un accueil chaleureux.39 Elle qualifie la posture du narrateur en soulignant une écriture « presque virile »: « A travers tout le livre, le jeune prêtre traverse une crise morale fort bien analysée. Il se cherche et il cherche Dieu. Par moments il souffre d’une certaine stérilité qui le conduit presque au découragement. Les conversations et les réflexions tiennent une grande place dans le livre. On y puise une doctrine solide et l’élan d’une foi profonde, presque virile. La dialectique est sûre, et non exempte d’un certain mysticisme. Je le répète, c’est un beau et bon livre qui peut faire beaucoup de bien aux âmes chancelantes. Aux âmes fortement chrétiennes, il apportera la confirmation de leurs croyances et de leur espérance. »
Roger Duhamel est un des rares critiques masculins qui ont écrit sur son œuvre.40 Dans l’édition du 12 avril 1967 du Photo-journal, il situe son projet en regard d’auteurs, et ne sont pas seulement des autrices, québécois et français. Par ailleurs, il salue sa démarche dans la tradition des écrivains catholiques, de même qu’il reconnaît l’actualité et la pertinence de son questionnement: « Anne-Marie a eu le courage d’aborder sans faux-fuyant le problème troublant du sacerdoce contemporain dans le contexte québécois; d’autres avant elle, André Langevin (le Temps des hommes), Gilles Marcotte (le Poids de Dieu), l’ont fait également, mais leur propos n’était pas de le cerner dans toutes ses dimensions, de provoquer avec autant d’acuité chez le lecteur une interrogation inquiète que je juge féconde. Michel de Saint-Pierre, lui aussi, a abordé la question (les Nouveaux Prêtres), mais sur un ton polémique qui en restreint la portée… Maintenant et toujours — titre pertinent — nous oblige à réfléchir sur une évolution assez mal engagée qui contraint aujourd’hui toute conscience catholique. »41
Épilogue critique
La publication des romans de Nellie Maillard a été, à chaque fois, accompagnée d’un nombre impressionnant de recensions critiques, souvent biaisées, souvent sexistes, comme on l’observe régulièrement dans le contexte de la réception critique des écrivaines. Peu de ces critiques mettront de l’avant la dimension politique de sa démarche orientée sur la justice sociale.
Domaine public
L’ensemble de son œuvre s’élèvera dans le domaine public à partir de janvier 2020 dont ses romans:
- L’aube de la joie (1958)
- La nuit si longue (1959)
- Maintenant et toujours (1967)
Notes et liens complémentaires
- Généalogie Nellie Maillard. Généalogie du Québec et d’Amérique française. 2019.
- Ibid.
- La famille David. ICI Abitibi-Témiscamingue. 1er février 2011. [consulter en ligne]
- Cécile, Brosseau. Montréal pleure une grande Canadienne. La Presse, 2 avril 1969, p. 27. [lire en ligne]
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Villa Maria, Prix et reconnaissances. Le profil Linkedin de la lauréate 2016, Katherine Carsley Lacroix, décrit ce prix ainsi: « Awarded to the student with the highest average in French throughout the entirety of High School and with the greatest knowledge and appreciation of the language itself, its history and its literature. »
- « Nouvelles de la navigation », La Presse, vendredi 19 juin 1925, p. 14. [lire en ligne]
- « Soirée dansante », La Presse, jeudi 4 février 1937, p. 5. [lire en ligne]
- « Chronique ouvrière: Des cours de français et d’anglais aux ouvrières de la robe de Montréal », Le Canada, samedi 19 avril 1941, p. 11. [lire en ligne]
- Monique Genuist, « L’AUBE DE LA JOIE, roman d’ANNE-MARIE (pseudonyme de Nellie DAVID, née MAILLARD) », Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec 1940-1959. Édité par M. Lemire, Montréal: Fides, p. 73. [lire en ligne (p.171)]
- Ibid.
- Isabelle Beaulieu, « Hélène David: Prendre acte ». Les libraires, p. 8. [lire en ligne]
- Malka Zipora, Lekhaim! – Chroniques de la vie hassidique à Montréal, Montréal: Les éditions du passage, 2006.
- Ibid.
- Appel personnel, le 19 décembre 2019
- Catherine Nazair. « Françoise David, Québec (1948-) ». Dans Citoyennes. Portraits de femmes engagées pour le bien commun sous la direction de Florence Piron. Éditions science et bien commun. 9 décembre 2014.
- Radio-Canada Ici Première. « La vie de Françoise David influencée par sa mère ». [consulter en ligne]
- Joël Zufferey, « Qu’est-ce que l’autofiction? (Avant-propos) » de: L’Autofiction: variations génériques et discursives, Academia, coll. « Au coeur des textes », 2012 (p.5-14).
- Philippe Lejeune. Signes de vie. Le Pacte autobiographique. Seuil, 2005.
- Frédéric Gugelot, Cécile Vanderpelen-Diagre et Denis Saint-Jacques, « Introduction. La figure de l’écrivain·e catholique de 1945 à nos jours », COnTEXTES. [lire en ligne]
- Anne-Marie, L’aube de la joie, Montréal: Le Cercle du livre de France, p. 25.
- Cécile Brosseau, « Anne-Marie et Madame Paul David », Le Devoir, 20 août 1960, p. 9. [lire en ligne]
- Ibid.
- A.C. Notices bibliographiques: Littératures: Anne-Marie, L’aube de la joie, Lectures, mercredi 15 avril 1959, p. 248. [lire en ligne (p. 8)]
- Jean-Louis Lessard. L’Aube de la joie. Laurentiana [blogue], 15 novembre 2012.
- Monique Duval, « Lancement du 2e roman de l’auteur Anne-Marie », Le soleil, 26 octobre 1960, p. 11. [lire en ligne]
- Isabelle Boisclair. Ouvrir la voix/Le processus constitutif d’un sous-champ littéraire féministe au Québec (1960-1990). [Mémoire], Université de Sherbrooke, Novembre 1998, p. 179. [lire en ligne]
- Monique Duval, op. cit.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Anne-Marie, Une nuit si longue, Montréal: Le Cercle du livre de France, p. 141.
- Léonce Cantin, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IV 1960-1969, op. cit., p. 631-632
- Ici Radio-Canada, « Des livres et des hommes: De grands écrivains interviewés par de grands journalistes », 20 mars 1967, p. 15
- Anne-Marie, Maintenant et Toujours, Montréal: Le Cercle du livre de France, p. 206-207).
- Claire Roy. « Un vicaire chez les pauvres », Le nouvelliste, samedi 15 avril 1967, p. 14. [lire en ligne]
- Roger Duhamel, « La chronique de Roger Duhamel: Les problèmes d’un prêtre québécois… », Photo-journal, 12 avril 1967, p. 77. [lire en ligne, p. 76]
- Ibid.
Illustration
- Nellie Maillard. Auteur: Jean-Pierre Marquis. Licence: CC BY-SA 4.0.
- Charles Maillard. Domaine public (via Wikimedia Commons).
- Nellie Maillard signant son second roman. Le Soleil, 28 mars 1960.ici


Merci de me faire redécouvrir ma mère en tant qu’autrice!
Il n’y a pas de quoi. J’étais été fascinée par la découverte de Nellie Maillard; c’est un sujet littéraire passionnant!
Un grand merci de vous être penchée sur Anne-Marie, l’autrice, et non seulement sur Nellie Maillard, fille de, femme de et mère de … Votre texte est inspirant et nous rappelle une autrice engagée, et une mère partie trop tôt .
Marie a fait un excellent travail de mémoire collective, en effet, Mme David. Merci à vous d’y avoir participé! Au-delà de ce cas particulier, nous souhaitons que ce Calendrier puisse contribuer à sensibiliser le monde de l’édition et de la diffusion à la valeur inestimable de la numérisation du patrimoine, du libre accès et du domaine public, qui éclairent à la fois le passé, le présent et l’avenir. Il faut les protéger! 🙂