« Nous voici appelĂ©s Ă nous connaĂźtre enfin nous-mĂȘme, et voici devant nous les splendeurs et les espoirs. Le surrĂ©alisme nous a rendu une partie de nos chances. Ă nous de trouver les autres. Ă sa lumiĂšre. » (Suzanne CĂ©saire, Tropiques, N. 5, avril 1942).
Suzanne CĂ©saire (Suzanne Roussi) est nĂ©e le 11 aoĂ»t 1915 aux Trois-Ălets en Martinique. AprĂšs lâĂ©cole communale Ă RiviĂšre-SalĂ©e et le pensionnat de jeunes filles Ă Fort-de-France, elle part faire des Ă©tudes de lettres Ă Toulouse, puis Ă lâĂ©cole normale supĂ©rieure, rue dâUlm, Ă Paris.
Câest lĂ quâelle rencontre, en 1936, un groupe dâamis, parmi lesquels lâĂ©crivain guyanais LĂ©on-Gontran Damas, la comĂ©dienne Jenny Alpha, Gerty ArchimĂšde (qui deviendra la premiĂšre avocate et dĂ©putĂ© de Guadeloupe) et LĂ©opold SĂ©dar Senghor, qui lui prĂ©sente AimĂ© CĂ©saire. Ils travaillent tous deux Ă la rĂ©daction de la revue LâEtudiant noir, une revue fondĂ©e par AimĂ© CĂ©saire en 1934 avec dâautres Ă©tudiants antillo-guyanais et africains et dans laquelle il exprimera pour la premiĂšre fois son concept de nĂ©gritude. Le couple se marie, Ă la mairie du XIVe en juillet 1937. Suzanne porte un tailleur rouge feu, elle a 22 ans.
ChassĂ©s de Paris par la guerre, les CĂ©saire repartent Ă Fort-de-France en aoĂ»t 1939. Ils enseignent au lycĂ©e SchĆlcher et font des enfants : il y en aura six en tout : Jacques en 1938, Jean-Paul en 1939, Francis en 1941, Ina en 1942, Marco en 1948 et MichĂšle en 1951.
Quand ils fondent – avec un grand nombre de leurs amis martiniquais dont RenĂ© MĂ©nil, lâavocat Georges Gratiant et lâhistorien Armand Nicolas – la cĂ©lĂšbre revue Tropiques, qui sort malgrĂ© la censure vichyste, entre 1941 et 1943, ils ont bien le sentiment de participer Ă une internationale antifasciste. Dans une Martinique sous gouverneur dĂ©signĂ© par Vichy, ils Ă©crivent : «OĂč que nous regardions, lâombre gagne. Lâun aprĂšs lâautre, les foyers sâĂ©teignent. Le cercle dâombre se resserre, parmi des cris dâhommes et des hurlements de fauves. Pourtant nous sommes de ceux qui disent non Ă lâombre. Nous savons que le salut du monde dĂ©pend de nous aussi. Que la terre a besoin de nâimporte lequel de ses fils (PrĂ©face Ă Tropiques, avril 1941).». Ă compter du numĂ©ro 5, une autre femme, la poĂ©tesse Lucie ThĂ©sĂ©e, participe Ă la revue. Suzanne et AimĂ© partagent le mĂȘme Ă©lan politique et littĂ©raire, ni leurs enfants en bas Ăąge ni leur mĂ©tier de professeur ne les arrĂȘtent.
En avril 1941, aidĂ© par lâactiviste amĂ©ricain Varian Fry et le « centre amĂ©ricain de secours » Ă Ă©chapper Ă la France pĂ©tainiste, AndrĂ© Breton, fuit vers New-York en compagnie de sa famille, du peintre cubain Wilfredo Lam, de lâĂ©crivaine Anna Seghers et de lâanthropologue Claude LĂ©vi-Strauss. Lors dâune escale du bateau Ă Fort-de-France (du 24 avril au 16 mai 1941), Breton dĂ©couvre par hasard le premier numĂ©ro de Tropiques et rencontre alors AimĂ© CĂ©saire. Une randonnĂ©e dans la forĂȘt dâAbsalon en compagnie du couple Breton, mais aussi de Wilfredo Lam, marquera les esprits et les Ćuvres de ce petit groupe de nouveaux amis. « Je nous reverrai toujours de trĂšs haut penchĂ©s sur le gouffre dâAbsalon comme sur la matĂ©rialisation mĂȘme du creuset oĂč sâĂ©laborent les images poĂ©tiquesâŠÂ » (AndrĂ© Breton, « Martinique charmeuse de serpents »). Des liens durables se nouent qui contribueront Ă propulser CĂ©saire dans la rĂ©publique des lettres françaises, par admiration pour lâĆuvre et par amitiĂ© pour lâhomme mais aussi pour sa femme. En matiĂšre de surrĂ©alisme, tous deux innovent et Suzanne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une thĂ©oricienne du surrĂ©alisme. PlutĂŽt que de lâassocier au futurisme et au cubisme, elle y apporte sa vision propre, le rattachant au romantisme, au socialisme et Ă la nĂ©gritude et en en faisant plutĂŽt un Ă©tat de disponibilitĂ© permanente au merveilleux.
Quelques mois aprĂšs son ralliement Ă la France libre, AimĂ© CĂ©saire sĂ©journe en HaĂŻti du 17 mai au 15 dĂ©cembre 1944. Il est accompagnĂ© de Suzanne, jusquâau 27 octobre suivant. La santĂ© de Suzanne est fragile et le couple y traverse une crise intime.
AimĂ© CĂ©saire est Ă©lu maire de Fort-de-France puis, en octobre 1945 dĂ©putĂ© de la premiĂšre AssemblĂ©e constituante, mandat quâil conservera sans interruption jusquâen 1993. Le couple partira donc pour Paris le 19 novembre, en faisant escale Ă Port-au-Prince et Ă New York oĂč il sera reçu par la communautĂ© surrĂ©aliste. Ils habitent ensuite rue de lâOdĂ©on Ă Paris, puis au Petit-Clamart en banlieue, avant de retourner deux ans Ă Fort-de-France en 1949.
En 1952, Suzanne adaptera une nouvelle de Lafcadio Hearn (Youma, The Story of a West-Indian Slave, 1890) pour un groupe thĂ©Ăątral martiniquais. Cette piĂšce, intitulĂ©e Aurore de la libertĂ©, traite de la rĂ©volte noire en Martinique de mai 1848. Mis en scĂšne par un groupe amateur, elle est jouĂ©e Ă Fort de France au dĂ©but des annĂ©es 50. Jamais publiĂ©, le texte de cette piĂšce a malheureusement Ă©tĂ© perdu. De retour Ă Paris, les CĂ©saire se rĂ©installent ensuite Ă SĂšvres, en rĂ©gion parisienne oĂč Suzanne enseignera au collĂšge Ătienne, puis au lycĂ©e technique.
Suzanne nâĂ©crit plus. Elle Ă©lĂšve ses 6 enfants Ă moitiĂ© seule puisquâAimĂ© est en Martinique une bonne partie du temps. Elle a aussi repris un poste de professeur tout en continuant Ă sâengager avec enthousiasme dans les mouvements politiques et fĂ©ministes. Elle invente le soir pour les enfants le conte sans fin de Koulivikou, dont elle invente la suite chaque soir, le remplaçant peu Ă peu par des rĂ©cits plus cruels tirĂ©s de lâactualitĂ© de Martinique ou dâailleurs et qui marqueront leur enfance. Elle les laisse aussi seuls le dimanche matin pour distribuer « LâHuma » au marchĂ© du petit Clamart.
En 1963, Ă 48 ans, Suzanne quitte AimĂ© CĂ©saire. Elle meurt trois ans plus tard, le 16 mai 1966, d’un cancer du cerveau.
Domaine public
- Le MinistĂšre de lâĂ©ducation en France a mis en ligne des extraits du « Grand camouflage » paru dans Tropiques en 1945, maintenant libre de droits : http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Aime_Cesaire/10/9/extraits_textes_propos_292109.pdf
Ćuvres
Suzanne Césaire a écrit sept essais dans la revue Tropiques :
- « Léo Frobenius et le problÚme des civilisations ». Tropiques I (1941): 27-36.
- « Alain et lâesthĂ©tique ». Tropiques II (1941): 53-61.
- « AndrĂ© Breton, poĂšteâŠÂ ». Tropiques III (1941): 31-37.
- « MisĂšre dâune poĂ©sie: John Antoine-Nau ». Tropiques IV (1942): 48-50.
- « Malaise dâune civilisation ». Tropiques V (1942): 43-49.
- « 1943: Le Surréalisme et nous ». Tropiques VIII-IX (1943): 14-18.
- « Le Grand camouflage ». Tropiques XIII-XIV (1945): 267-73.
Tous ses essais sont disponibles dans lâĂ©dition de facsimilĂ©s de la revue chez Jean-Michel Place (Paris: 1978).
Sources
- Le Grand Camouflage : Ă©crits de dissidence, 1941/1945 /Suzanne CĂ©saire ; Ă©dition Ă©tablie par Daniel Maximin. [Paris] : Ăditions du Seuil, 2009, 123 p. [Contient les sept essais parus dans Tropiques ainsi que divers textes Ă©crits sur Suzanne CĂ©saire]
- Suzanne, lâaimĂ©e de CĂ©saire par Natalie Levisalles, Journal LibĂ©ration, 23 avril 2009.
- http://ile-en-ile.org/cesaire_suzanne/
- Haïti à la croisée des chemins : une correspondance entre Aimé Césaire et Henri Seyrig/Koraveron, 26 novembre 2013.
- A Poetics of Anticolonialism/Robin D.G. Kelley, Monthly Review, 1999, Volume 51, issue 06 (November)
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