Anne-Marie DâAmours, poĂ©tesse de Trois-Pistoles, voit le jour sur la terre parentale, au coin du rang 1 et de la route Fatima1, le 18 fĂ©vrier 1898. On la dit recluse, cĂ©libataire, attachĂ©e Ă son patelin natal. Un peu plus et nous serions tentĂ©s dâen faire une sorte dâEmily Dickinson2 du Bas-du-Fleuve ; hĂ©las, une telle comparaison est tout Ă fait capillotractĂ©e.
Mais un problĂšme surgit, qui nous taraudera tout au long de cette notule : la documentation Ă son sujet est plus que parcellaire. TĂąchons tout de mĂȘme de jeter quelque Ă©clairage sur la vie et lâĆuvre de cette femme mĂ©connue, dont lâexistence fut pourtant aurĂ©olĂ©e de plusieurs distinctions littĂ©raires.
On la qualifie ici de plus grand poĂ©tesse pistoloise3 et lĂ dâauteure dâune Ćuvre parfois naĂŻve4. DĂ©tournons-nous de ces jugements contradictoires et offrons sans tarder Ă notre distinguĂ© lectorat lâoccasion de se frotter au texte lui-mĂȘme5:
Ă Canada français, je vĂ©nĂšre tes prĂȘtres,
Sublimes dĂ©fendeurs du sol et lâautel.
Le curé du terroir nous conserve immortel
Le testament de nos ancĂȘtres.
Inlassable à la tùche, intrépide au devoir,
Il prĂȘche le respect de la vieille coutume;
Et sur les fronts courbĂ©s par lâĂ©preuve il allume
La pure Ă©toile de lâespoir.
DâAmours ne cherche pas Ă travailler un matĂ©riau poĂ©tique qui lui est propre. Elle sâinstalle confortablement dans le sillon creusĂ© par la tradition rĂ©gionaliste et rĂ©agence les mots et les thĂšmes anciens afin de voir si, dâaventure, de telles conjurations poĂ©tiques sont susceptibles de prolonger lâemprise rassurante de notre maĂźtre, le passĂ©. Câest un genre. Câest aussi une Ă©poque.
Lors de la PremiĂšre Guerre mondiale, saisie de zĂšle patriotique, elle parvient Ă placer un court poĂšme dans La Presse. Le 25 novembre 1916, sous le nom de plume Fleurette des Plaines, elle sâadresse ainsi Ă la mĂšre patrie Ă©prouvĂ©e par la boucherie de Verdun, alors en cours6:
France, si Dieu le veut, grand sera lâavenir !
Elle a 18 ans, le regard tournĂ© vers le Vieux Continent et lâesprit modelĂ© par le Couvent des SĆurs de JĂ©sus-Marie de Trois-Pistoles7, oĂč on lui a appris le chant, le piano et les sciences (Ă la sauce catholique de chez nous).
Comment occupe-t-elle son existence ? De poĂ©sie, certes, mais encore⊠NâĂ©ludons pas cette question pĂ©rilleuse. Le texte le plus substantiel sur sa personne, trois maigres pages parues dans LâĂcho des basques en dĂ©cembre 1984, nâest pas disponible en ligne. En fouillant les recoins du Web â et en Ă©cartant les documents consacrĂ©s Ă son homonyme dâaujourdâhui, une agente dâimmeuble qui se pique, elle aussi, de poĂ©sie8, on parvient Ă dĂ©nicher une publication gĂ©nĂ©alogique consacrĂ©e aux DâAmours oĂč, miracle des internets!, notre principale intĂ©ressĂ©e reçoit un traitement privilĂ©giĂ©. Un de ses descendants, Jean-Marc DâAmours, dĂ©roule la liste de ses prix littĂ©raires et, bien mieux, soulĂšve pour nous un coin du voile9:
Anne-Marie nâa pas connu sa mĂšre, dĂ©cĂ©dĂ©e Ă lâĂąge de 21 ans. Son pĂšre est mort trois ans plus tard. ConfiĂ©e Ă sa tante maternelle Ălise Rousseau et Ă son oncle Alfred BĂ©rubĂ©, elle a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e avec grand soin, tendresse et amour et, mĂȘme, avec une grande dose de surprotection pouvant parfois porter atteinte Ă sa libertĂ©. A-t-elle souffert de cette pseudo-rĂ©clusion ? Je ne sais pas. Quoi quâil en soit, elle a exprimĂ© Ă ses beaux-parents une reconnaissance de tous les instants en les escortant et les soignant jusquâĂ leur mort respective. En fait, elle est restĂ©e cĂ©libataire pour sâoccuper dâeux.
Trente annĂ©es passent. Elle a maintenant la quarantaine bien sonnĂ©e. Comment la vie lâa-t-elle traitĂ©e jusquâici ? Dieu seul le sait. Chose certaine, elle ne quitte guĂšre Trois-Pistoles, accumule les prix littĂ©raires et continue dâĂ©crire. Des poĂšmes patriotiques, historiques, pieux ou agricoles â tout lâinspire. Elle dissĂ©mine le fruit de son travail dans les publications qui lui ouvrent ses pages. Câest lĂ , notamment, oĂč la comparaison avec Emily Dickinson ne tient plus, car cette derniĂšre nâa Ă peu prĂšs rien publiĂ© de son vivant.
En 1947, coup de chance ou juste retour du destin, elle retient lâattention de la SociĂ©tĂ© archĂ©ologique, scientifique et littĂ©raire de BĂ©ziers. LâĂ©lite lettrĂ©e de cette bourgade du sud de la France, dont le programme intellectuel est digne de la Renaissance, publie un Bulletin et dĂ©cerne divers prix une fois lâan. Ils voient en elle une des leurs, dâautant plus quâelle possĂšde un je-ne-sais-quoi dâexotique10:
Par avion, nous avons reçu une ballade. L’auteur y compare le Devoir et le Plaisir.
Pourquoi faut-il que le Plaisir
Plus que le Devoir intéresse ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ătranger au fourbe plaisir,
Sourd Ă l’appel de la paresse,
D’une aube a l’autre, mon dĂ©sir
Allégé de molle tendresse,
En Ă©lans tĂȘtus se redresse.
Il faut donner pour recevoir.
La vie est belle ! Avec ivresse
Mon Ăąme accueille le Devoir.La piĂšce a de la grĂące, mais elle manque de ce souffle qui l’eĂ»t portĂ©e Ă l’une des premiĂšres places. Le jury lui a accordĂ© un quatriĂšme prix. Il a Ă©tĂ© particuliĂšrement heureux de constater que ce prix rĂ©compensait le mĂ©rite d’une Canadienne.
L’auteur, Mlle Anne-Marie d’Amours, habite une localitĂ© de la province de QuĂ©bec, qui porte le nom charmant de Trois Pistoles. Comment les habitants de ce petit bourg ne garderaient pas un peu d’affection pour cette France, d’oĂč ils sont venus, et qui ne les oublie pas !
QuatriĂšme prix, donc, qui vient tout de mĂȘme, cinq pages plus loin, avec des encouragements Ă persister en envoyant de nouveaux poĂšmes lâannĂ©e suivante11::
Que de poĂštes ont Ă©voquĂ© le Christ ; mais tous l’ont vu et chantĂ© au cours de sa pĂ©riode Ă©vangĂ©lique. L’originalitĂ© de la piĂšce de Mlle d’Amours, c’est qu’elle le voit Ă vingt ans.
Verbe Ă©ternel, Sauveur de tous, roi de vingt ans,
HĂ©ros d’un grand destin qu’un nuage enveloppa,
Il peine jusqu’au soir, la main sur la varlope.
Sous la calme fraĂźcheur de son humain printemps
Quel feu mystique s’enveloppe !Quelques faiblesses, quelques bavures n’ont pas permis au jury d’accorder Ă notre laurĂ©ate la suprĂȘme rĂ©compense. Mais en la remerciant du grand plaisir que nous avons pris Ă la lecture de son Ćuvre, en la fĂ©licitant de son attachement Ă notre pays et Ă notre langue, ce qui nous Ă©meut profondĂ©ment, nous l’invitons Ă persĂ©vĂ©rer, Ă cultiver encore ses dons, et Ă nous envoyer l’an prochain une belle gerbe de poĂšmes, que vous viendrez encore applaudir.
Se savoir lu, et dâaussi loin, de la mĂšre patrie, voilĂ qui est assurĂ©ment la consĂ©cration pour Anne-Marie DâAmours. Certaine de jouir dâune rĂ©ception favorable, ce qui la dispose Ă se pencher Ă nouveau sur sa table dâĂ©criture en vue de la livraison prĂ©vue pour lâannĂ©e 1948, elle fait ce que doit et soumet un poĂšme intitulĂ© LâAddolorata, qui lui vaut une rĂ©compense encore plus prestigieuse.
Sa carriĂšre littĂ©raire, dont on vient de retracer les derniers hauts faits, est constellĂ©e dâhonneurs. Permettons-nous, suivant la tradition apologĂ©tique des commentateurs de Mlle DâAmours, de lister Ă notre tour son abondante moisson :
- Premier prix de la SociĂ©tĂ© des PoĂštes et mĂ©daille dâargent du Lieutenant-Gouverneur (1936);
- Prix de lâHonorable SecrĂ©taire de la Province et bourse du Gouverneur-GĂ©nĂ©ral (1939);
- Prix du Moulin-à -Vent (sic) et médaille du Lieutenant-Gouverneur (1940);
- Premier prix de la SociĂ©tĂ© des PoĂštes et mĂ©daille dâargent du Lieutenant-Gouverneur (1941);
- Premier prix et bourse de la Société des PoÚtes (1942);
- QuatriÚme prix de la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers (1947);
- MĂ©daille dâargent de la SociĂ©tĂ© archĂ©ologique, scientifique et littĂ©raire de BĂ©ziers (1948);
- DeuxiĂšme prix de lâInstitut polonais des arts et sciences, section canadienne de lâUniversitĂ© McGill (1948).
En 1960, elle est hospitalisĂ©e pour un cancer, dont elle guĂ©rit, mais qui la laissera paralysĂ©e jusquâĂ la fin de ses jours, le 10 janvier 1968. Durant ses derniĂšres annĂ©es, elle reçoit de lâaide pour continuer de sâadonner Ă sa graphomanie.
Par-delĂ les mĂ©rites littĂ©raires que les autoritĂ©s compĂ©tentes ont su lui reconnaĂźtre, ce qui distingue Anne-Marie DâAmours, ce qui la rend mĂȘme Ă©mouvante, câest peut-ĂȘtre surtout sa persistance Ă Ă©crire, son acharnement Ă pratiquer et parfaire son art. Elle fut, Ă lâinstar des « rudes pionniers, laboureurs et colons » qui parsĂšment son Ćuvre, « inlassable Ă la tĂąche ». A-t-elle fait de ce labeur poĂ©tique une maniĂšre de vivre ? Câest ce que nous aimerions croire.
« Elle nâa pas fait beaucoup de bruit pendant son existence », nous dit Jean-Marc DâAmours. MalgrĂ© tout, accomplissant sa tĂąche dans lâombre, entourĂ©e de lâamour des siens, elle est parvenue Ă imprimer sa marque sur sa rĂ©gion natale. La bibliothĂšque de la municipalitĂ© de Trois-Pistoles, qui porte maintenant son nom12, est Ă©galement riche de ses Ćuvres choisies, qui ont Ă©tĂ© publiĂ©es en 2000 par le Centre dâĂ©dition des Basques.
Domaine public
Toute lâĆuvre dâAnne-Marie DâAmours, incluant ses Ćuvres choisies, appartiendra au domaine public Ă compter du 1er janvier 2019.
Sources et références
- Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers, 1947. [lire en ligne]
- DâAmours, J. (2000). Le Sanglier, Volume 1, NumĂ©ro 2, p. 26. [lire en ligne]
- Rioux, E. (1997). Histoire de Trois-Pistoles, 1697-1997. Centre dâĂ©dition des Basques.
- Rousseau-Belzile, M. (1984, dĂ©cembre). Anne-Marie D’Amours, une poĂ©tesse de talent, in L’Ăcho des Basques, volume 5, numĂ©ro 1, 4-6.
Notes et liens complémentaires
- Soit Ă peu prĂšs ici
- Emily Elizabeth Dickinson (1830-1886) est une poétesse américaine née dans une famille aisée du Massachusetts qui vécut une vie introvertie et recluse. (Wikipedia)
- Histoire de Trois-Pistoles, p. 562.
- PrĂ©face Ă ses Ćuvres choisies, Trois-Pistoles : Centre d’Ă©dition des Basques, 2000, p. 9.
- Extrait du poĂšme Ă Patrie, mes amours! recueilli dans ses Ćuvres choisies, p. 122.
- Ă la France, in Ćuvres choisies, p. 108.
- Lieu dâenseignement scolaire trĂšs rĂ©putĂ© Ă lâĂ©poque, « Le Couvent » (sic) est â juste retour des choses â une rĂ©sidence pour personnes ĂągĂ©es autonomes depuis la fin des annĂ©es 1960. Voir cet article d’infodimanche.com du 2 janvier 2012.
- « Pour un RĂsultat MAXimum, faites confiance Ă RE/MAX »
- Le Sanglier, Volume 1, NumĂ©ro 2, 1er mai 2000, p. 26. [lire en ligne – PDF].
- Document source: Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers, page 28, 1947. [lire en ligne]
- Document source: Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers, page 33. 1947. [lire en ligne]
- « BibliothĂšque Anne-Marie-D’Amours ». Ville de Trois-Pistoles.