Nous soulignons cette annĂ©e le cinquiĂšme anniversaire du Calendrier de lâavent du domaine public đ Ădition quĂ©bĂ©coise en cĂ©lĂ©brant cinq figures de femmes dont les Ćuvres appartenaient dĂ©jĂ au domaine public canadien avant le dĂ©marrage du projet. Laure Conan, nĂ©e en 1845 et dĂ©cĂ©dĂ©e en juin 1924, est la cinquiĂšme dâentre elles.
Jâai dĂ©couvert qui Ă©tait Laure Conan en commençant Ă travailler sur cette notule pour le Calendrier de lâAvent du domaine public (un aspect exploratoire que jâaime particuliĂšrement, en participant Ă ce projet). Dâelle je ne connaissais que la bibliothĂšque qui porte son nom Ă La Malbaie1.
Ce qui mâa aussitĂŽt frappĂ©e câest lâimportance dans les prĂ©sentations de lâauteure, mise sur lâhistoire dâamour malheureuse et la vie de lâĂ©crivaine qui, semble-t-il, le fut tout autant.
Pourtant on comprend assez vite que la littĂ©rature nâest pas venue par accident dans la vie de FĂ©licitĂ© Angers.
Femme de… personne!
Câest une vĂ©ritable vocation, qui prend racine le 9 janvier 1845, lors de la naissance de Marie-Louise-FĂ©licitĂ© Angers, Ă La Malbaie. Ă lâĂcole normales des Ursulines de QuĂ©bec, oĂč FĂ©licitĂ© est pensionnaire de 1858 Ă 1862, on remarque le goĂ»t dâapprendre et un certain talent pour lâĂ©criture chez la jeune fille. Et câest cette mĂȘme annĂ©e, Ă la fin de lâĂ©cole, que FĂ©licitĂ© rencontre celui qui sera son fiancĂ© quelques annĂ©es sans jamais devenir son Ă©poux, Pierre-Alexis Tremblay. En 1867 câest la rupture, pour des raisons mal connues.
Jâaime Ă croire que câest cette rupture, et lâabsence de mariage, qui permettra Ă FĂ©licitĂ© Angers de devenir Laure Conan, la premiĂšre romanciĂšre quĂ©bĂ©coise.
Bien sĂ»r, la douleur quâelle a engendrĂ© traverse lâĆuvre de lâĂ©crivaine, lui donnant presque son unique sujet: celui de la rĂ©signation dâune femme aprĂšs un amour perdu (ne dirait-on pas rĂ©silience aujourdâhui?), trouvant la paix dans la religion et lâĂ©criture.
Cette rupture, finalement, est ce qui a donnĂ© Ă FĂ©licitĂ© Angers la possibilitĂ© dâĂȘtre pleinement ce quâelle souhaitait, de sâĂ©manciper. Au XIXĂšme siĂšcle, cette femme a choisi une voie unique, sortant de lâitinĂ©raire tout tracĂ© que lâon rĂ©servait Ă ses sĆurs, « femme de » ou religieuse. En Ă©pousant Pierre-Alexis Tremblay, FĂ©licitĂ© Angers aurait-elle pu devenir Ă©crivaine?
Ăcrivaine de profession
La carriĂšre de Laure Conan commence plutĂŽt tardivement et on sait peu comment elle occupa sa vie (Ă part Ă son jardin), Ă La Malbaie, dans la demeure familiale quâelle partage avec son frĂšre aĂźnĂ©, Ălie2, et sa sĆur Marie-Marguerite3, qui resteront tous trois cĂ©libataires. En 1877, elle voyage Ă Saint-Hyacinthe oĂč elle rencontre la mĂšre Catherine-AurĂ©lie, religieuse fondatrice des SĆurs du PrĂ©cieux-Sang. Devenues amies, cette derniĂšre encourage FĂ©licitĂ© Ă Ă©crire pour gagner sa vie.
Un an plus tard, câest sous le pseudonyme choisi pour conserver lâanonymat dans sa petite ville, que Laure Conan publie son premier ouvrage dans La Revue de MontrĂ©al, Un amour vrai. Elle a 33 ans.
Mais câest avec AngĂ©line de Montbrun, publiĂ© dâabord sous forme de feuilleton dans la Revue canadienne en 1881 et 1882, que le nom de Laure Conan se fait connaĂźtre. Le succĂšs est tel quâAngĂ©line est publiĂ© en livre en 1884. Câest aussi Ă cette Ă©poque que Laure Conan commence des correspondances avec diverses personnalitĂ©s du monde littĂ©raire, religieux et mondain.
Roman psychologique
AngĂ©line de Montbrun est le premier roman psychologique de la littĂ©rature quĂ©bĂ©coise (qui sâillustrait avant ça, beaucoup dans le roman historique). Sous une forme audacieuse, mi roman Ă©pistolaire, mi journal intime, il semble raconter la vie de son auteure, amoureuse malheureuse, mais femme de foi et dâĂ©criture.
« Les souvenirs dĂ©licieux autant que les poignants me dĂ©chirent le coeur. Jâai comme un saignement en dedans, suffocant, sans issue. Et personne Ă qui dire les paroles qui soulagent. » (dans AngĂ©line de Montbrun, 1884)
Laure Conan sâillustrera Ă©galement dans le roman historique, sâattachant aux personnages de Samuel de Champlain, Louis HĂ©bert, Elizabeth Seton ou encore Lambert Closse.
« Portes et fenĂȘtres Ă©taient closes; mais la flamme de lâĂątre brillait Ă lâintĂ©rieur, et la fumĂ©e de ces rudes foyers montait belle et douce, dans lâabsolue puretĂ© de lâatmosphĂšre. Le major donnait la main Ă la jeune fille et marchait silencieux, attentif. Des rumeurs vagues, profondes, dâĂąpres et sauvages senteurs leur arrivaient de la forĂȘt. » (dans LâOubliĂ©, 1900)
En 1894, Laure Conan sâinstalle Ă Saint-Hyacinthe et devient la rĂ©dactrice en chef de la revue pieuse La Voix du PrĂ©cieux-Sang. Elle le restera jusquâen 1898, date de la disparition de la publication. Elle aura Ă©crit 90 articles, des biographies religieuses pour la plupart.
En 1910, elle collabore au CongrÚs antialcoolique de Québec en publiant Aux Canadiennes. Elle leur écrit :
« Pour la femme il y a dans le mariage, bien de lâabnĂ©gation de soi, bien de lâimmolation. Celui que vous acceptez pour mari, câest-Ă -dire pour maĂźtre, tĂąchez de le rendre meilleur, autant pour lâaimer plus que pour en ĂȘtre aimĂ©e. Tout faire pour mĂ©riter lâestime, la confiance, lâaffection de son mari, câest beaucoup, mais ce nâest pas assez. Il faut tout faire pour les lui accorder. »
Bien quâayant reçu un prix Montyon de lâAcadĂ©mie Française en 1903, FĂ©licitĂ© est rĂ©aliste sur sa condition de femme Ă©crivaine dans ce monde dâhommes. âSi jâĂ©tais un homme, on me traiterait bien autrementâ, Ă©crit-elle au premier ministre sir Wilfrid Laurier en 1904.
Laure Conan meurt en 1924 Ă lâHĂŽtel-Dieu de QuĂ©bec et elle est inhumĂ©e dans le cimetiĂšre de La Malbaie. Elle aura tenu Ă terminer son dernier roman historique, La sĂšve immortelle, avant dâaccepter de se rendre Ă lâhĂŽpital.
Un personnalité féminine à redécouvrir
Difficile de saisir le personnage de FĂ©licitĂ© Angers/Laure Conan. Jâimagine une femme obstinĂ©e, qui sait ce quâelle veut et ce quâelle ne veut pas, assez forte pour sâimposer dans un monde dâhomme. Tout en Ă©tant profondĂ©ment pieuse et sans remettre en question le statut de la femme dans son Ă©poque.
Il faudrait se pencher Ă nouveau sur lâĆuvre de Laure Conan. Elle mĂ©rite quâon lâĂ©claire Ă lâaune de ce siĂšcle quâelle nâa pas connu. LâĂ©tude de ses Ćuvres date des annĂ©es 1960 ou 1970, et câest une vision bien patriarcale qui sâest attardĂ©e sur ses Ă©crits. Pour celle qui sâest Ă©mancipĂ©e des carcans de son Ă©poque, câest un comble.
Il faut imaginer cette femme, rĂ©servĂ©e, mais non timide, qui sut dĂ©fendre ses droits et nâhĂ©sita pas Ă Ă©crire Ă des personnalitĂ©s de lâĂ©poque (elle demanda Ă lâabbĂ© Casgrain dâĂ©crire la prĂ©face de son premier roman), sans modĂšle, seule au milieu de ce monde littĂ©raire masculin, pour comprendre son importance dans la littĂ©rature quĂ©bĂ©coise.
La 6eme rencontre de la Fondation Lionel-Groulx sur Laure Conan, le 4 mars 2020, Ă la Grande BibliothĂšque nous permettra sans doute de lever le voile sur Laure Conan.
Domaine public
Au Canada, toutes les Ćuvres de Laure Conan (romans, nouvelles et autres ouvrages) se sont appartiennent au domaine public depuis 1974. La plupart sont disponibles, en version originale numĂ©risĂ©e, dans la bibliothĂšque libre Wikisource. En voici quelques-unes:
Romans
- Angéline de Montbrun (1882)
- Ă l’Ćuvre et Ă l’Ă©preuve (1891)
- L’OubliĂ© (1900)
- La SĂšve immortelle (1925), publication posthume
Nouvelles
- Un amour vrai (1897)
- LâObscure souffrance (1917)
- La Vaine foi (1927)
Sources et références
- « Laure Conan », Dictionnaire biographique du Canada.
- « Laure Conan », Silence et parole.
- Laure Conan. Angéline de Montbrun. Montréal: BibliothÚque Québécoise, 2007.
- Laure Conan. Laure Conan, textes choisis et présentés par Micheline Dumont. Montréal et Paris: Fides, 1959.
- Louise Simard. Laure Conan, La romanciÚre aux rubans. Montréal: XYZ éditeur, 1995.
Notes et liens complémentaires
- La ville de Laval a Ă©galement donnĂ© le nom de plume de cette autrice Ă l’une de ses bibliothĂšques municipales.
- Le pĂšre, forgeron, avait donnĂ© Ă son fils le mĂȘme prĂ©nom que lui: Ălie. PoĂšte Ă ses heures, le fils aĂźnĂ© devint notaire Ă La Malbaie.
- Marie Ă©tait Ă©galement le premier prĂ©nom de la mĂšre, Marie Perron, qui l’avait transmis Ă deux de ses filles.
Illustration
- Laure Conan [vers 1870]. Auteur inconnu (domaine public). Source: BAnQ numérique
- Numérisation du roman Angéline de Montbrun (1886). Internet Archive. [consulter]
- Fondation Lionel-Groulx. Logo des rencontres Figures marquantes de notre histoire.