Ăcrivain majeur de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle quĂ©bĂ©cois, LĂ©o-Paul Desrosiers (1896-1967) est lâauteur dâune Ćuvre qui incarne et dĂ©borde son Ă©poque. Romans, nouvelles, essais historiques, Desrosiers a tĂątĂ© divers genres littĂ©raires pour explorer son obsession: lâhistoire du Canada français. Il signe aussi quantitĂ© d’articles dans les revues et les journaux â dont plus de 1800 textes pour Le Devoir entre 1920 et 1927. Admirateur de Maurice Duplessis, disciple du chanoine Groulx, chantre de lâidĂ©ologie agriculturiste, romancier de la terre Ă la plume trempĂ©e dans lâeau bĂ©nite, il a tout pour nous dĂ©plaire. Et pourtant. Regardons-y de plus prĂšs.
Premier auteur quĂ©bĂ©cois Ă ĂȘtre publiĂ© dans la fameuse collection « blanche » de Gallimard avec Les engagĂ©s du Grand Portage (1938), il accĂšde dĂšs lors Ă la reconnaissance du grand public. Ce roman psychologique Ă la langue riche et prĂ©cise, qui sâappuie sur de solides connaissances historiques (la traite des fourrures dans les Pays-dâen-Haut au dĂ©but XIXe siĂšcle), a de quoi sĂ©duire la France: des AmĂ©rindiens, des coureurs des bois, une enfilade de pĂ©ripĂ©ties dans la vastitude dâun continent sauvage et inhospitalier. Le livre est Ă©galement un succĂšs de librairie de ce cĂŽtĂ©-ci de lâAtlantique. Et, privilĂšge rĂ©servĂ© Ă une poignĂ©e dâĂ©lus dans notre histoire littĂ©raire, il est constamment rĂ©Ă©ditĂ©. La derniĂšre sortie a dâailleurs eu lieu chez Fides plus tĂŽt cette annĂ©e.
Ce roman a toutefois relĂ©guĂ© dans lâombre tous les autres, dont Lâampoule dâor (1951), le vĂ©ritable « sommet » de son Ćuvre romanesque aux dires de Julia Richer, sa biographe[1]. On le lira, entre autres, pour savourer certaines des plus belles pages de notre littĂ©rature consacrĂ©es Ă la nature gaspĂ©sienne. Le critique Pierre de GrandprĂ©, quant Ă lui, avance que son meilleur livre est « peut-ĂȘtre » Les opiniĂątres (1941), qui raconte la vie dâun dĂ©fricheur en Nouvelle-France, dans la colonie des Trois-RiviĂšres[2]. Quand les spĂ©cialistes divergent sur lâouvrage qui compte, voilĂ probablement le signe de plusieurs choses : a) une Ćuvre forte b) la subjectivitĂ© du goĂ»t c) le ridicule des classements d) toutes ces rĂ©ponses. Je serais, pour ma part, tentĂ© de plonger dans Nord-Sud, oĂč le protagoniste, paysan des annĂ©es 1840, quitte son patelin misĂ©reux pour tenter sa chance en Californie, lĂ oĂč la ruĂ©e vers lâor est susceptible dâenrichir son homme.
ComplĂ©tons cette brĂšve incursion dans son Ćuvre littĂ©raire par quelques remarques sur ses Ă©crits historiques. Biographe de Lord Durham, Paul de Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Le Ber, Marguerite Bourgeoys, Desrosiers produit Ă©galement une monumentale histoire du pays des Iroquois au temps de la Nouvelle-France, Iroquoisie (1947). Le premier tome ne se vendant pas, les autres ne seront publiĂ©s quâĂ titre posthume. Le livre paraĂźt au complet pour la premiĂšre fois en 1998 aux Ă©ditions du Septentrion. Dans sa prĂ©sentation de lâouvrage, lâhistorien Alain Beaulieu explique ainsi son infortune initiale:
Nous ne connaissons pas les motivations profondes qui incitent Desrosiers Ă consacrer aux Iroquois une Ă©tude historique aussi fouillĂ©e, mais il est Ă peu prĂšs certain que son travail dut paraĂźtre excentrique Ă ses contemporains. Ă une Ă©poque oĂč les historiens canadiens-français sâĂ©vertuaient Ă trouver des hĂ©ros dans lâhistoire de la Nouvelle-France, quitte Ă en inventer de toutes piĂšces, Desrosiers sâintĂ©ressait Ă des « Sauvages » qui, de surcroĂźt, Ă©taient considĂ©rĂ©s comme les ennemis jurĂ©s de la Nouvelle-France[3].
En somme, il nâĂ©claire pas le passĂ© de la maniĂšre qui convient Ă son Ă©poque. Toujours selon Beaulieu, grĂące Ă cet ouvrage de plus de mille pages, Desrosiers peut Ă bon droit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme « lâun des prĂ©curseurs de lâhistoire amĂ©rindienne au QuĂ©bec ».
Journaliste, Ă©crivain, historien, voilĂ qui devrait faire le tour du personnage. Eh bien non, justement. La plupart des textes que jâai lus Ă son propos, Ă quelques exceptions prĂšs, sâen tiennent Ă ces titres. Par dĂ©formation professionnelle, je me permets de signaler un « oubli » : LĂ©o-Paul Desrosiers, bibliothĂ©caire. Car Desrosiers a ĆuvrĂ© en tant que conservateur de la BibliothĂšque municipale de MontrĂ©al de 1941 Ă 1953, une douzaine dâannĂ©es qui ont laissĂ© une marque profonde sur la lecture publique dans notre mĂ©tropole. Qui voudrait en savoir davantage se tournera vers la sous-section que jâai ajoutĂ©e Ă son article dans lâencyclopĂ©die collaborative WikipĂ©dia.
Domaine public
Toute lâĆuvre de LĂ©o-Paul Desrosiers appartiendra au domaine public dĂšs le 1er janvier 2018.
Références
- Le troisiĂšme Fauteuil : Ăgidius Fauteux, LĂ©o-Paul Desrosiers, Luc LacourciĂšre, par Gilles Gallichan. Les Cahiers des dix (1996).
- Iroquoisie, site des Ă©ditions du Septentrion.
- Présentations et extraits de divers romans de Desrosiers sur le blogue Laurentiana.
- Article de Desrosiers (BibliothÚques, Ontario et Québec) paru dans Relations en août 1942.
- Wikipédia (FR).
Notes et sources complémentaires
- âŹïž Julia Richer, LĂ©o-Paul Desrosiers, Fides, Coll. Ăcrivains canadiens de toujours, 1966, p. 26
- âŹïž Pierre De GrandprĂ©, Histoire de la littĂ©rature française du QuĂ©bec, tome II, Beauchemin, 1971, p. 269
- âŹïž Alain Beaulien, Introduction de L’Iroquoisie de LĂ©o-Paul Desrosiers, tome I, Septentrion, 1998, p. xii