Out-El-Kouloub, de son vrai nom Out El-Demerdachiah nait au Caire en 1892 et décède en Autriche en 1968 à l’âge de 76 ans. Issue d’une famille aristocrate, fille d’un shaykh de confrérie mythique, elle grandit dans un milieu musulman aisé en Égypte. A 25 ans, elle est forcée d’épouser un avocat et juge égyptien, Mustafa Bey Muktar. Le couple aura cinq enfants dont quatre garçons et une fille. Elle divorce de son époux la septième année de leur mariage. Pour sauvegarder son nom — Demerdachiah — suite au divorce, elle change le nom de ses enfants, ce qui est controversant vu son attachement aux traditions orientales de l’époque.
Amour pour son pays
Au XIXe siècle, l’empire Britannique envahit l’Égypte et la colonise. La tutelle puis le protectorat britannique dureront jusqu’en 1952. En 1961, le régime nassérien confisque les biens mobiliers de la confrérie soufie à laquelle sa famille appartenait. Cette dernière décide de quitter l’Égypte et de ne plus y revenir tant que le régime nassérien y est présent. Mais Out-El-Kouloub choisit de rester dans son pays et mène une grande lutte pour changer la situation des femmes qui n’avaient pour occupation quotidienne que les tâches domestiques. Grâce à la confrérie à laquelle elle appartenait, elle était en contact avec les femmes d’autres classes sociales et connaissait leur réalité. Mais comment faire pour critiquer les mœurs de sa société si elle ne peut pas utiliser sa langue maternelle, considérée comme une langue sacrée ?
Le français symbole de la liberté de penser
À la fin du 19e siècle, les aristocrates et la haute bourgeoisie commencèrent à utiliser le français comme une langue de l’élite. Le français était devenu non seulement la langue de communication entre eux mais aussi celle qui permettait de rester en contact avec la culture occidentale, dont l’Europe. Vers les années cinquante, les classes moyennes s’emparent de la langue française et l’utilisent comme langue de communication entre les différentes minorités installées en Égypte.
Avec l’arrivée des Britanniques, une prise de conscience nationale voit le jour. L’urgence était de conserver la mémoire collective, de valoriser la culture et la tradition égyptienne et de critiquer la situation dans laquelle vivaient les femmes. Cette prise de conscience a facilité une affirmation d’une conscience nationale et donna naissance aux premières revendications des femmes, à l’émergence d’un discours public et, surtout, d’une littérature dite d’expression française.
C’est dans ce courant de pensée, une littérature engagée d’expression française, instauratrice et expérimentale que naît la grande romancière Out-El-Kouloub. Écrire en français lui permet d’aller chercher un lectorat occidental afin de faire connaître l’Égypte autrement. Même si cette forme d’expression constituait alors une transgression, le gouvernement en place ne fait rien pour l’en empêcher car cela sert ses intérêts.
Après la première guerre mondiale, les relations diplomatiques de la France, l’Angleterre et l’Égypte étaient impactées mais les écrivains continuaient à écrire en français.
Une lutte pour l’émancipation féminine
Femme de grande culture, Out-El-Kouloub, utilisait son salon comme lieu de rencontre, de création mais aussi d’échange culturel. Elle accueille de grands écrivains égyptiens et surtout français qui non seulement lui permettent de publier ses livres en France et de conquérir un lectorat étranger, mais aussi de bénéficier de la notoriété de grands écrivains qui, à l’époque, préfacent ses textes.
Out-El-Kouloub utilisait la forme du récit de voyage et du roman comme un outil pour véhiculer un message et satisfaire les amateurs de ce genre. Elle voulait réveiller la conscience des femmes de son époque, les aider à s’émanciper. En s’exprimant en français, elle voulait aussi faire connaître la femme égyptienne à l’extérieur, parler de l’évolution de la femme en Égypte, aborder les différents problèmes de la société et clarifier la situation de la femme dans l’Islam.
L’idée est de faire connaître l’Orient arabe en donnant à la société occidentale des images venant de l’intérieur et en intégrant les femmes dans la vie de la cité. Ce mouvement de reconnaissance a permis aux femmes, quelques années plus tard en 1956, d’accèder à l’égalité de droits politique et économique même si dans les foyers, le statut de la femme restait confus.
Un écrivain réaliste
Dans ce contexte, Out-El-Kouloub est considérée comme une romancière qui décrivait la réalité de sa société avec aisance et raffinement esthétique. Pour certains critiques, elle était une ethnologue, car elle savait comment décrire les mœurs de sa société tout en gardant une bonne image de celle-ci. D’autres voyaient en elle une George Sand orientale. Elle utilisait sa plume pour dire son espace en prenant comme thématique dominante la condition féminine. Si Out-El-Kouloub, à travers ses personnages principaux majoritairement féminins, avec des comportements et des discours révolutionnaires, prônait l’émancipation de la femme, paradoxalement, elle était un défenseur de la culture orientale et luttait contre l’acculturation du peuple. Elle était attachée à sa terre natale et à sa religion. Elle craignait la perte de la mémoire collective composée essentiellement de l’héritage islamique.
Ses œuvres
Out-El-Kouloub commença à écrire en 1934. Ses huit romans connus furent publiés en français, entre 1934 et 1961, et sont édités principalement en France, chez Gallimard. Ses œuvres furent préfacés par des écrivains de renom qu’elle avait rencontrés lors de leurs passages en Égypte. Ce lien littéraire favorisa un échange culturel entre les deux pays, la diffusion et la connaissance des œuvres de cette auteure de talent et la découverte d’une société aux prises avec un choc culturel. Si ses œuvres ne sont pas vraiment connues de nos jours par nos amateurs littéraires, les pensées et la lutte d’Out-El-Kouloub étaient connues à son époque et des traductions en furent même réalisées après sa mort.
- Au hasard de la pensée (1934). Le Caire, Al Maaref.
- Harem (1937). Préface de Paul Morand, Paris, Gallimard.
- Trois contes de l’amour et de la mort (1940). Préface d’André Maurois, Paris, Corréa.
- Zanouba (1947). Préface de Jérôme et Jean Tharaud, Paris, Gallimard.
- Coffret hindou, Le (1951). Préface de Jean Cocteau, Paris, Gallimard.
- Nuit de la destinée, La (1954). Préface d’Emile Dermenghem, Paris, Gallimard.
- Ramza (1958). Préface d’Henri Guillemin, Paris, Gallimard.
- Hefnaoui le magnifique (1961). Préface d’Henri Peyre, Paris, Gallimard.
Œuvres traduites
- Ramza (1994). Traduction de Nayra Atiya, Syracuse University Press.
- Ramsa, Tochter des Harems (1995). Bern, München, Wien, Scherz.
- Saidas Klage (1996). Bern, München, Wien, Scherz.
Domaine public
Au Canada, les œuvres d’Out-El-Kouloub seront versées dans le domaine public dès le 1er janvier 2019. Plusieurs extraits de ses œuvres sont déjà disponibles en ligne, tels « La nuit de la destinée » ou « Ramza ».
Sources et références
- Gaden, Élodie (avril 2010). Out-El-Kouloub, romancière égyptienne, musulmane, de langue française : l’altérité culturelle au sein de l’histoire littéraire des femmes françaises. Fabula, la recherche en littérature, no 7, consulté le 24 décembre 2018.
- Madœuf, Julia (1997). Féminisme et orientalisme au miroir francophone d’Out-El-Kouloub (1892-1968), Egypte/Monde Arabe, no 29, Paris, Le Caire, pages 101-114. consulté le 25 décembre 2018
- Out-El-Kouloub (Wikipedia, fr)
- Out-El-Kouloub (Wikipedia, en)
Illustration
- Évocation graphique de Out El-Kouloub (domaine public) inspirée d'une image titrée "Kout-al-Koloub" publiée sans autre source connue sur Babelio.
- Couverture de « Ramza » dans son édition d'origine, chez Gallimard.