« La fameuse pipe, me l’a t-on assez reprochĂ©e! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer ma pipe? Non, nâest-ce pas, elle nâest quâen reprĂ©sentation. Donc si jâavais Ă©crit sous mon tableau, Ceci est une pipe, jâaurais menti!âŠÂ«Â
Une quinzaine dâannĂ©es avant sa disparition en 1967, le peintre surrĂ©aliste belge RenĂ© Magritte rencontre un franc succĂšs. DĂšs lors, la reconnaissance de son Ćuvre nâa jamais Ă©tĂ© dĂ©mentie. Sa rĂ©flexion sur « les mots, la pensĂ©e et les images » intĂ©resse philosophes et historiens de lâart. Son tableau, peut-ĂȘtre le plus connu, La Trahison des Images / Ceci nâest pas une pipe (1929) frappe aujourdâhui encore lâimaginatif populaire.
RenĂ© Magritte est nĂ© en 1898 Ă Lessines (Wallonie). AĂźnĂ© de trois frĂšres, il connaĂźt une enfance difficile. La mĂšre modiste est dĂ©pressive et se suicide par noyade en 1912. Le pĂšre, instable Ă©conomiquement, oblige sa famille Ă dĂ©mĂ©nager rĂ©guliĂšrement â ChĂątelet, Charleroi, Bruxelles. RenĂ© Magritte frĂ©quente dĂšs 1916 les cours de lâAcadĂ©mie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Il Ă©tudie diffĂ©rents courants picturaux comme le cubisme et le futurisme.
Lors dâune rencontre en 1924 avec les reprĂ©sentants dada, il dĂ©couvre une peinture de Giorgio De Chirico, Le Chant dâamour (1914). Il dira plus tard: « Mes yeux ont vu la pensĂ©e pour la premiĂšre foisâŠÂ ». Son style se peaufine, il organise une exposition personnelle en 1927, mais lâaccueil du public est mitigĂ©. Le tableau Le Jockey perdu (1926) est pourtant remarquĂ© et sera considĂ©rĂ© plus tard comme le dĂ©but de son travail sur le surrĂ©alisme. Le musĂ©e de Grenoble acquiert en 1928 Les Ăpaves de lâombre (1927), une premiĂšre pour les collections publiques. Un an plus tard, Magritte fonde, avec NougĂ© et Mesens, le groupe surrĂ©aliste de Bruxelles. Avant de faire son service militaire, il travaille comme dessinateur dans une usine de papier peint. Il Ă©pouse en 1922 Georgette Berger que lâon retrouvera rĂ©guliĂšrement dans ses peintures.
Le couple quitte la Belgique en 1927, sâinstalle en rĂ©gion parisienne, au Perreux-sur-Marne. Magritte travaille beaucoup sur le concept « les mots et les images« . Il prend contact avec les surrĂ©alistes parisiens et participe Ă leurs travaux.
LâintĂ©gration du couple Ă Paris nâest pas facile. Magritte se fĂąche avec AndrĂ© Breton, ce qui ne les empĂȘchent pas de collaborer en 1934 au livre Quâest-ce que le surrĂ©alisme?. Il se lie dâamitiĂ© avec Paul et Gala Eluard, plus tard avec Salvador Dali qui lâinvite Ă passer un Ă©tĂ© Ă CadaquĂ©s.
Devant la crise de 1929, Magritte et son Ă©pouse retournent Ă Bruxelles en 1930. Avec son frĂšre Paul, compositeur en musique de variĂ©tĂ©, ils crĂ©ent jusquâen 1936 Dongo, une petite agence de publicitĂ© â activitĂ© quâil poursuit ensuite de temps Ă autre jusquâen 1965. Magritte qualifie ces occupations de « travaux imbĂ©ciles » mais nĂ©anmoins bien alimentaires. Il adhĂšre en 1932 au parti communiste belge.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Magritte organise une exposition personnelle Ă Paris et prĂ©sente ce quâil appelle sa « pĂ©riode vache ». La critique est acerbe, sa palette aux couleurs outranciĂšres dĂ©sarçonne le public bon chic bon genre parisien. L’expĂ©rience reste sans lendemain.
Comme un dĂ©fi Ă lui-mĂȘme, il accepte en 1953 la commande dâune fresque de soixante-dix mĂštres de long en huit panneaux pour le casino de Knokke-le-Zoute, Le Domaine enchantĂ©. Le succĂšs est au rendez-vous et la premiĂšre rĂ©trospective est organisĂ©e Ă Bruxelles.
Les commandes se succĂšdent: La FĂ©e ignorante en 1957 pour le Palais des Beaux-arts de Charleroi, Les Barricades mystĂ©rieuses en 1961 pour le Palais des congrĂšs de Bruxelles. En outre-Atlantique, il est invitĂ© par la galerie Iolas NY et assiste Ă sa rĂ©trospective au MusĂ©e dâArt Moderne de New York en 1965. La mĂȘme annĂ©e, il peint Le Blanc seing, peut-ĂȘtre sa derniĂšre toile importante. Chicago, Rotterdam⊠les rĂ©trospectives se suivent.
Magritte a un autre projet: faire des sculptures inspirées de ses tableaux, mais sa santé se dégrade. Il fait trois séjours en Italie, à Ischia, à Rome et chez son fondeur à Vérone pour corriger les cires. Les bronzes sont coulés aprÚs sa mort.
René Magritte meurt en août 1967 à Schaerbeek/Bruxelles.
Avec son chapeau melon lĂ©gendaire, toujours bien mis de sa personne, Magritte soigne son personnage. Peintre mais aussi publicitaire, il maĂźtrise parfaitement la force, la puissance des mots et des images quâil enfouit dans son monde de mystĂšres et, de lĂ , dans lâimaginaire du public.
« Je veille, dans la mesure du possible, Ă ne faire que des peintures qui suscitent le mystĂšre avec la prĂ©cision et lâenchantement nĂ©cessaire Ă la vie des idĂ©es.«Â
Seules deux peintures de Magritte sont conservées dans les collections publiques du Canada:
- Perspective: Madame Récamier de David, 1951, huile sur toile, Musée des beaux-arts du Canada, achetée en 1997 (illustration ci-dessus).
- L’anniversaire, 1959, Art Gallery of Ontario, huile sur toile, achetĂ©e en 1971
RenĂ© Magritte vu par Paul Ăluard
En 1935, RenĂ© Magritte inspirait ces quelques vers au poĂšte Paul Ăluard (1895-1952):
René Magritte
Marches de lâĆil
A travers les barreaux des formes
Un escalier perpétuel
Le repos qui nâexiste pas
Une des marches est cachée par un nuage
Une autre par un grand couteau
Une autre par un arbre qui se déroule
Comme un tapis
Sans gestes
Toutes les marches sont cachées
On a semé des feuilles vertes
Champs immenses forĂȘts dĂ©duites
Au coucher des rampes de plomb
Au niveau des clairiĂšres
Dans le lait léger du matinle sable abreuve de rayons
Les silhouettes des miroirsLeurs Ă©paules pĂąles et froides
Leurs sourires décoratifs
Lâarbre est teintĂ© de fruits invulnĂ©rables
Paul Ăluard (1935)
DOMAINE PUBLIC
Les images de René Magritte appartiendront au domaine public dÚs le 1er janvier 2018.
Références
Mes remerciements au service Documentation des collections du musée de Grenoble.
- Entretiens avec RenĂ© Magritte, Institut national de l’audiovisuel, 1967.
- Magritte RenĂ©, Ăcrits complets, Flammarion, 1979.
- Hammacher Abraham-Marie, René Magritte, Ars Mundi, 1986.
- Haddad Hubert, Magritte, Hazan, 1996.
- Ottinger Didier, La Trahison des images, catalogue d’exposition, Centre Pompidou, 2016.
- Wikipédia (fr) : René Magritte.
- La Fondation Magritte.
- Musée Magritte, Bruxelles.
Illustration
- René Magritte, par Lothar Wolleh, CC-BY-SA 3.0.
- Perspective : Madame RĂ©camier de David, 1951, huile sur toile.